MÉTRIQUE EN LIGNE

RGN001/RGN001

Jean-François Regnard

1692

LE JOUEUR

Comédie

GÉRONTE

Père de Valère

VALÈRE

amant d'Angélique

ANGÉLIQUE

amante de Valère

DORANTE

oncle de valère, et amant d'Angélique

LE MARQUIS

NÉRINE

suivante d'Angélique

Madame LA RESSOURCE

revendeuse à la toilette

HECTOR

valet de Valère

Monsieur TOUTABAS

maître de trictrac

Monsieur GALONNIER

tailleur

Madame ADAM

sellière

Un LAQUAIS d'Angélique

Trois LAQUAIS du Marquis

La scène est à Paris, dans un hôtel garni.

ACTE I

SCÈNE I

HECTOR, dans un fauteuil, près d'une toilette.
	Il est, parbleu, grand jour.⎟ Déjà de leur ramage	6+6
	les coqs ont éveillé⎟ tout notre voisinage.	6+6
	Que servir un joueur⎟ est un maudit métier !	6+6
	Ne serai-je jamais⎟ laquais d'un sous-fermier ?	6+6
5	Je ronflerais mon soûl⎟ la grasse matinée,	6+6
	Et je m'enivrerais⎟ le long de la journée :	6+6
	Je ferais mon chemin ;⎟ j'aurais un bon emploi ;	6+6
	Je serais dans la suite⎟ un conseiller du roi,	6+6
	Rat-de-cave ou commis ;⎟ et que sait-on ? Peut-être	6+6
10	Je deviendrais un jour⎟ aussi gras que mon maître.	6+6
	J'aurais un bon carrosse⎟ à ressorts bien liants ;	6+6
	De ma rotondité⎟ j'emplirais le dedans :	6+6
	Il n'est que ce métier⎟ pour brusquer la fortune ;	6+6
	Et tel change de meuble⎟ et d'habit chaque lune,	6+6
15	Qui, jasmin autrefois,⎟ d'un drap du sceau couvert,	6+6
	Bornait sa garde-robe⎟ à son justaucorps vert.	6+6
	Quelqu'un vient.

SCÈNE II

HECTOR.
	Quelqu'un vient. Si matin,⎟ Nérine, qui t'envoie ?	6+6

NÉRINE.
	Que fait Valère ?

HECTOR.
	Que fait Valère ? Il dort.⎟

NÉRINE.
	Que fait Valère ? Il dort. Il faut que je le voie.	6+6

HECTOR.
	Va, mon maître ne voit⎟ personne quand il dort.	6+6

NÉRINE.
	Je veux lui parler.

HECTOR.
20	Je veux lui parler. Paix,⎟ ne parle pas si fort.	6+6
	Oh ! J'entrerai, te dis-je.⎟

HECTOR.
	Oh ! J'entrerai, te dis-je. Ici je suis de garde,	6+6
	Et je ne puis t'ouvrir⎟ que la porte bâtarde.	6+6

NÉRINE.
	Tes sots raisonnements⎟ sont pour moi superflus.	6+6

HECTOR.
	Voudrais-tu voir mon maître⎟ in naturalibus .	6+6

NÉRINE.
	Quand se lèvera-t-il ?⎟

HECTOR.
25	Quand se lèvera-t-il ? Mais, avant qu'il se lève,	6+6
	Il faudra qu'il se couche ;⎟ et franchement…

NÉRINE.
	Il faudra qu'il se couche ; et franchement… Achève.	6+6

HECTOR.
	Je ne dis mot.

NÉRINE.
	Je ne dis mot. Oh ! Parle,⎟ ou de force, ou de gré.	6+6

HECTOR.
	Mon maître, en ce moment,⎟ n'est pas encor rentré.	6+6

NÉRINE.
	Il n'est pas rentré ?

HECTOR.
	Il n'est pas rentré ? Non.⎟ Il ne tardera guère :	6+6
30	Nous n'ouvrons pas matin.⎟ Il a plus d'une affaire,	6+6
	Ce garçon-là.

NÉRINE.
	Ce garçon-là. J'entends.⎟ Autour d'un tapis vert,	6+6
	Dans un maudit brelan,⎟ ton maître joue et perd,	6+6
	Ou bien réduit à sec,⎟ d'une âme familière,	6+6
	Peut-être il parle au ciel⎟ d'une étrange manière.	6+6
35	Par ordre très exprès⎟ d'Angélique, aujourd'hui	6+6
	Je viens pour rompre ici⎟ tout commerce avec lui.	6+6
	Des serments les plus forts⎟ appuyant sa tendresse,	6+6
	Tu sais qu'il a cent fois⎟ promis à ma maîtresse	6+6
	De ne toucher jamais⎟ cornet, carte, ni dé,	6+6
40	Par quelque espoir de gain⎟ dont son coeur fût guidé ;	6+6
	Cependant…

HECTOR.
	Cependant… Je vois bien⎟ qu'un rival domestique	6+6
	Consigne entre tes mains⎟ pour avoir Angélique.	6+6

NÉRINE.
	Et quand cela serait,⎟ n'aurais-je pas raison ?	6+6
	Mon coeur ne peut souffrir⎟ de lâche trahison.	6+6
45	Angélique, entre nous,⎟ serait extravagante	6+6
	De rejeter l'amour⎟ qu'à pour elle Dorante :	6+6
	Lui, c'est un homme d'ordre,⎟ et qui vit congrument.	6+6

HECTOR.
	L'amour se plaît un peu⎟ dans le dérèglement.	6+6

NÉRINE.
	Un amant fait et mûr.⎟

HECTOR.
	Un amant fait et mûr. Les filles d'ordinaire,	6+6
	Aiment mieux le fruit vert.⎟

NÉRINE.
50	Aiment mieux le fruit vert. D'un fort bon caractère ;	6+6
	Qui ne sut de ses jours⎟ ce que c'est que le jeu.	6+6

HECTOR.
	Mais mon maître est aimé.⎟

NÉRINE.
	Mais mon maître est aimé. Dont j'enrage. Morbleu !	6+6
	Ne verrai-je jamais⎟ les femmes détrompées	6+6
	De ces colifichets,⎟ de ces fades poupées,	6+6
55	Qui n'ont, pour imposer,⎟ qu'un grand air débraillé,	6+6
	Un nez de tous côtés⎟ de tabac barbouillé,	6+6
	Une lèvre qu'on mord⎟ pour rendre plus vermeille,	6+6
	Un chapeau chiffonné⎟ qui tombe sur l'oreille,	6+6
	Une longue steinkerque⎟ à replis tortueux,	6+6
60	Un haut-de-chausse bas⎟ prêt à tomber sous eux ;	6+6
	Qui, faisant le gros dos,⎟ la main dans la ceinture,	6+6
	Viennent, pour tout mérite,⎟ étaler leur figure ?	6+6

HECTOR.
	C'est le goût d'à présent ;⎟ tes cris sont superflus,	6+6
	Mon enfant.

NÉRINE.
	Mon enfant. Je veux, moi,⎟ réformer cet abus.	6+6
65	Je ne souffrirai pas⎟ qu'on trompe ma maîtresse,	6+6
	Et qu'on profite ainsi⎟ d'une tendre faiblesse ;	6+6
	Qu'elle épouse un joueur,⎟ un petit brelandier,	6+6
	Un franc dissipateur,⎟ et dont tout le métier	6+6
	Est d'aller de cent lieux⎟ faire la découverte	6+6
70	Où de jeux et d'amour⎟ on tient boutique ouverte,	6+6
	Et qui le conduiront⎟ tout droit à l'hôpital.	6+6

HECTOR.
	Ton sermon me paraît⎟ un tant soit peu brutal.	6+6
	Mais, tant que tu voudras,⎟ parle, prêche, tempête,	6+6
	Ta maîtresse est coiffée.⎟

NÉRINE.
	Ta maîtresse est coiffée. Et crois-tu, dans ta tête,	6+6
75	Que l'amour sur son coeur⎟ ait un si grand pouvoir ?	6+6
	Elle est fille d'esprit ;⎟ peut-être dès ce soir	6+6
	Dorante, par mes soins,⎟ l'épousera.

HECTOR.
	Dorante, par mes soins, l'épousera. Tarare !	6+6
	Elle est dans nos filets.⎟

NÉRINE.
	Elle est dans nos filets. Et moi je te déclare	6+6
	Que je l'en tirerai⎟ dès aujourd'hui.

HECTOR.
	Que je l'en tirerai dès aujourd'hui. Bon ! Bon !	6+6

NÉRINE.
80	Que Dorante a pour lui⎟ Nérine et la raison.	6+6

HECTOR.
	Et nous avons l'amour.⎟ Tu sais que d'ordinaire,	6+6
	Quand l'amour veut parler,⎟ la raison doit se taire,	6+6
	Dans les femmes, s'entend.⎟

NÉRINE.
	Dans les femmes, s'entend. Tu verras que chez nous,	6+6
	Quand la raison agit,⎟ l'amour a le dessous.	6+6
85	Ton maître est un amant⎟ d'une espèce plaisante !	6+6
	Son amour peut passer⎟ pour fièvre intermittente ;	6+6
	Son feu pour Angélique⎟ est un flux et reflux.	6+6

HECTOR.
	Elle est, après le jeu,⎟ ce qu'il aime le plus.	6+6

NÉRINE.
	Oui, c'est la passion⎟ qui seule le dévore :	6+6
90	Dès qu'il a de l'argent,⎟ son amour s'évapore.	6+6

HECTOR.
	Mais en revanche aussi,⎟ quand il n'a pas un sou,	6+6
	Tu m'avoueras qu'il est⎟ amoureux comme un fou.	6+6

NÉRINE.
	Oh ! J'empêcherai bien…⎟

HECTOR.
	Oh ! J'empêcherai bien… Nous ne te craignons guère ;	6+6
	Et ta maîtresse, encor⎟ hier, promit à Valère,	6+6
95	De lui donner dans peu,⎟ pour prix de son amour,	6+6
	Son portrait enrichi⎟ de brillants tout autour.	6+6
	Nous l'attendons, ma chère,⎟ avec impatience :	6+6
	Nous aimons les bijoux⎟ avec concupiscence.	6+6

NÉRINE.
	Ce portrait est tout prêt,⎟ mais ce n'est pas pour lui,	6+6
100	Et Dorante en sera⎟ possesseur aujourd'hui.	6+6

HECTOR.
	À d'autres.

NÉRINE.
	À d'autres. N'est-ce pas⎟ une honte à Valère,	6+6
	Étant fils de famille,⎟ ayant encor son père,	6+6
	Qu'il vive comme il fait,⎟ et que, comme un banni,	6+6
	Depuis un an il loge⎟ en un hôtel garni ?	6+6

HECTOR.
105	Et vous y logez bien,⎟ et vous et votre clique.	6+6

NÉRINE.
	Est-ce de même, dis ?⎟ Ma maîtresse Angélique,	6+6
	Et la veuve sa soeur,⎟ ne sont dans ce pays	6+6
	Que pour un temps, et n'ont⎟ point de père à Paris.	6+6

HECTOR.
	Valère a déserté⎟ la maison paternelle,	6+6
110	Mais ce n'est point à lui⎟ qu'il faut faire querelle ;	6+6
	Et si monsieur son père⎟ avait voulu sortir,	6+6
	Nous y serions encore,⎟ à ne t'en point mentir.	6+6
	Ces pères, bien souvent,⎟ sont obstinés en diable.	6+6

NÉRINE.
	Il a tort, en effet,⎟ d'être si peu traitable !	6+6
115	Quoi qu'il en soit, enfin,⎟ je ne t'abuse pas,	6+6
	Je fais la guerre ouverte ;⎟ et je vais de ce pas,	6+6
	Dire ce que je vois,⎟ avertir ma maîtresse	6+6
	Que Valère toujours⎟ est faux dans sa promesse ;	6+6
	Qu'il ne sera jamais⎟ digne de ses amours ;	6+6
120	Qu'il a joué, qu'il joue,⎟ et qu'il jouera toujours.	6+6
	Adieu.

HECTOR.
	Adieu. Bonjour.

SCÈNE III

Hector, seul.
	Adieu. Bonjour. Autant⎟ que je m'y puis connaître,	6+6
	Cette Nérine-ci⎟ n'est pas trop pour mon maître.	6+6
	A-t-elle grand tort ? Non,⎟ c'est un panier percé,	6+6
	Qui…

SCÈNE 4

Valère paraît en désordre, comme un homme qui a joué toute la nuit.

HECTOR.
	Qui… Mais je l'aperçois.⎟ Qu'il a l'air harassé !	6+6
125	On soupçonne aisément,⎟ à sa triste figure,	6+6
	Qu'il cherche en vain quelqu'un⎟ qui prête à triple usure.	6+6

VALÈRE.
	Quelle heure est-il ?

HECTOR.
	Quelle heure est-il ? Il est…⎟ je ne m'en souviens pas.	6+6

VALÈRE.
	Tu ne t'en souviens pas ?⎟

HECTOR.
	Tu ne t'en souviens pas ? Non, Monsieur.

VALÈRE.
	Tu ne t'en souviens pas ? Non, Monsieur. Je suis las	6+6
	De tes mauvais discours ;⎟ et tes impertinences…	6+6

Hector, à part.
130	Ma foi, la vérité⎟ répond aux apparences.	6+6

VALÈRE.
	Ma robe de chambre.
À part.
	Ma robe de chambre. Euh !⎟

Hector, à part.
	Ma robe de chambre. Euh ! Il jure entre ses dents.	6+6

VALÈRE.
	Eh bien ! Me faudra-t-il⎟ attendre encor longtemps ?	6+6
Il se promène.

HECTOR.
	Eh ! La voilà, monsieur.⎟
Il suit son maître, tenant sa robe de chambre toute déployée.

Valère, se promenant.
	Eh ! La voilà, monsieur. Une école maudite	6+6
	Me coûte, en un moment,⎟ douze trous tout de suite.	6+6
135	Que je suis un grand chien !⎟ Parbleu, je te saurai,	6+6
	Maudit jeu de trictrac,⎟ ou bien je ne pourrai.	6+6
	Tu peux me faire perdre,⎟ ô fortune ennemie !	6+6
	Mais me faire payer,⎟ parbleu, je t'en défie :	6+6
	Car je n'ai pas un sou.⎟

Hector, tenant toujours la robe.
	Car je n'ai pas un sou. Vous plairait-il, Monsieur… ?	6+6

Valère, se promenant.
140	Je me ris de tes coups,⎟ j'incague ta fureur.	6+6

HECTOR.
	Votre robe de chambre⎟ est, Monsieur, toute prête.	6+6

VALÈRE.
	Va te coucher, maraud ;⎟ ne me romps point la tête.	6+6
	Va-t'en.

HECTOR.
	Va-t'en. Tant mieux.

SCÈNE V

Valère, se mettant dans un fauteuil.
	Va-t'en. Tant mieux. Je veux⎟ dormir dans ce fauteuil.	6+6
	Que je suis malheureux !⎟ Je ne puis fermer l'oeil.	6+6
145	Je dois de tous côtés,⎟ sans espoir, sans ressource,	6+6
	Et n'ai pas, grâce au ciel,⎟ un écu dans ma bourse.	6+6
	Hector ! … que ce coquin⎟ est heureux de dormir !	6+6
	Hector !

SCÈNE VI

Hector, derrière le théâtre.
	Hector ! Monsieur ?

VALÈRE.
	Hector ! Monsieur ? Eh bien !⎟ Bourreau, veux-tu venir ?	6+6
Hector entre à moitié déshabillé.
	N'es-tu pas las encor⎟ de dormir, misérable ?	6+6

HECTOR.
150	Las de dormir ! Monsieur ?⎟ Hé ! Je me donne au diable,	6+6
	Je n'ai pas eu le temps⎟ d'ôter mon justaucorps.	6+6

VALÈRE.
	Tu dormiras demain.⎟

HECTOR, à part.
	Tu dormiras demain. Il a le diable au corps.	6+6

VALÈRE.
	Est-il venu quelqu'un ?⎟

HECTOR.
	Est-il venu quelqu'un ? Il est, selon l'usage,	6+6
	Venu maint créancier ;⎟ de plus, un gros visage,	6+6
155	Un maître de trictrac⎟ qui ne m'est pas connu.	6+6
	Le maître de musique⎟ est encore venu.	6+6
	Ils reviendront bientôt.⎟

VALÈRE.
	Ils reviendront bientôt. Bon. Pour cette autre affaire,	6+6
	M'as-tu déterré… ?

HECTOR.
	M'as-tu déterré… ? Qui ?⎟ Cette honnête usurière,	6+6
	Qui nous prête, par heure,⎟ à vingt sous par écu ?	6+6

VALÈRE.
	Justement, elle-même.⎟

HECTOR.
160	Justement, elle-même. Oui, monsieur, j'ai tout vu.	6+6
	Qu'on vend cher maintenant⎟ l'argent à la jeunesse !	6+6
	Mais enfin, j'ai tant fait,⎟ avec un peu d'adresse,	6+6
	Qu'elle m'a reconduit⎟ d'un air fort obligeant ;	6+6
	Et vous aurez, je crois,⎟ au plus tôt votre argent.	6+6

VALÈRE.
165	J'aurais les mille écus !⎟ ô ciel ! Quel coup de grâce !	6+6
	Hector, mon cher Hector,⎟ viens çà que je t'embrasse.	6+6

HECTOR.
	Comme l'argent rend tendre !⎟

VALÈRE.
	Comme l'argent rend tendre ! Et tu crois qu'en effet,	6+6
	Je n'ai, pour en avoir,⎟ qu'à donner mon billet ?	6+6

HECTOR.
	Qui le refuserait⎟ serait bien difficile :	6+6
170	Vous êtes aussi bon⎟ que banquier de la ville.	6+6
	Pour la réduire au point⎟ où vous la souhaitez,	6+6
	Il a fallu lever⎟ bien des difficultés :	6+6
	Elle est d'accord de tout,⎟ du temps, des arrérages ;	6+6
	Il ne faut maintenant⎟ que lui donner des gages.	6+6

VALÈRE.
	Des gages ?

HECTOR.
	Des gages ? Oui, monsieur.⎟

VALÈRE.
175	Des gages ? Oui, monsieur. Mais y penses-tu bien ?	6+6
	Où les prendrai-je, dis ?⎟

HECTOR.
	Où les prendrai-je, dis ? Ma foi, je n'en sais rien.	6+6
	Pour nippes, nous n'avons⎟ qu'un grand fonds d'espérance	6+6
	Sur les produits trompeurs⎟ d'une réjouissance ;	6+6
	Et dans ce siècle-ci,⎟ messieurs les usuriers,	6+6
180	Sur de pareils effets⎟ prêtent peu volontiers.	6+6

VALÈRE.
	Mais quel gage, dis-moi,⎟ veux-tu que je lui donne ?	6+6

HECTOR.
	Elle viendra tantôt⎟ elle-même en personne,	6+6
	Vous vous ajusterez⎟ ensemble en quatre mots.	6+6
	Mais, Monsieur, s'il vous plaît,⎟ pour changer de propos,	6+6
185	Aimeriez-vous toujours⎟ la charmante Angélique ?	6+6

VALÈRE.
	Si je l'aime ? Ah ! Ce doute⎟ et m'outrage et me pique.	6+6
	Je l'adore.

HECTOR.
	Je l'adore. Tant pis :⎟ c'est un signe fâcheux.	6+6
	Quand vous êtes sans fonds,⎟ vous êtes amoureux ;	6+6
	Et quand l'argent renaît,⎟ votre tendresse expire.	6+6
190	Votre bourse est, Monsieur,⎟ puisqu'il faut vous le dire,	6+6
	Un thermomètre sûr,⎟ tantôt bas, tantôt haut,	6+6
	Marquant de votre coeur⎟ ou le froid ou le chaud.	6+6

VALÈRE.
	Ne crois pas que le jeu,⎟ quelque sort qu'il me donne,	6+6
	Me fasse abandonner⎟ cette aimable personne.	6+6

HECTOR.
195	Oui, mais j'ai bien peur, moi,⎟ qu'on ne vous plante là.	6+6

VALÈRE.
	Et sur quel fondement⎟ peux-tu juger cela ?	6+6

HECTOR.
	Nérine sort d'ici,⎟ qui m'a dit qu'Angélique	6+6
	Pour Dorante votre oncle⎟ en ce moment s'explique ;	6+6
	Que vous jouez toujours,⎟ malgré tous vos serments,	6+6
200	Et qu'elle abjure enfin⎟ ses tendres sentiments.	6+6

VALÈRE.
	Dieux ! Que me dis-tu là ?⎟

HECTOR.
	Dieux ! Que me dis-tu là ? Ce que je viens d'entendre.	6+6

VALÈRE.
	Bon ! Cela ne se peut ;⎟ on t'a voulu surprendre.	6+6

HECTOR.
	Vous êtes assez riche⎟ en bonne opinion,	6+6
	À ce qu'il me paraît.⎟

VALÈRE.
	À ce qu'il me paraît. Point. Sans présomption,	6+6
	On sait ce que l'on vaut.⎟

HECTOR.
205	On sait ce que l'on vaut. Mais si, sans vouloir rire,	6+6
	Tout allait comme j'ai⎟ l'honneur de vous le dire,	6+6
	Et qu'Angélique enfin⎟ pût changer…

VALÈRE.
	Et qu'Angélique enfin pût changer… En ce cas,	6+6
	Je prends le parti… mais⎟ cela ne se peut pas.	6+6

HECTOR.
	Si cela se pouvait,⎟ qu'une passion neuve ?…	6+6

VALÈRE.
210	En ce cas, je pourrais⎟ rabattre sur la veuve,	6+6
	la Comtesse sa soeur.⎟

HECTOR.
	la Comtesse sa soeur. Ce dessein me plaît fort.	6+6
	J'aime un amour fondé⎟ sur un bon coffre-fort.	6+6
	Si vous vouliez un peu⎟ vous aider avec elle,	6+6
	Cette veuve, je crois,⎟ ne serait point cruelle ;	6+6
215	Ce serait une éponge⎟ à presser au besoin.	6+6

VALÈRE.
	Cette éponge, entre nous,⎟ ne vaudrait pas ce soin.	6+6

HECTOR.
	C'est, dans son caractère,⎟ une espèce parfaite,	6+6
	Un ambigu nouveau⎟ de prude et de coquette,	6+6
	Qui croit mettre les coeurs⎟ à contribution,	6+6
220	Et qui veut épouser ;⎟ c'est là sa passion.	6+6

VALÈRE.
	Épouser ?

HECTOR.
	Épouser ? Un marquis,⎟ de même caractère,	6+6
	Grand épouseur aussi,⎟ la galope et la flaire.	6+6

VALÈRE.
	Et quel est ce marquis ?⎟

HECTOR.
	Et quel est ce marquis ? C'est, à vous parler net,	6+6
	Un marquis de hasard⎟ fait par le lansquenet ;	6+6
225	Fort brave, à ce qu'il dit,⎟ intrigant, plein d'affaires ;	6+6
	Qui croit de ses appas⎟ les femmes tributaires ;	6+6
	Qui gagne au jeu beaucoup,⎟ et qui, dit-on, jadis	6+6
	Était valet de chambre⎟ avant d'être marquis.	6+6
	Mais sauvons-nous, Monsieur,⎟ j'aperçois votre père.	6+6

SCÈNE VII

GÉRONTE.
230	Doucement ; j'ai deux mots⎟ à vous dire, Valère.	6+6
À Hector.
	Pour toi, j'ai quelques coups⎟ de canne à te prêter.	6+6

HECTOR.
	Excusez-moi, Monsieur,⎟ je ne puis m'arrêter.	6+6

GÉRONTE.
	Demeure là, maraud.⎟

HECTOR, à part.
	Demeure là, maraud. Il n'est pas temps de rire.	6+6

GÉRONTE.
	Pour la dernière fois,⎟ mon fils, je viens vous dire	6+6
235	Que votre train de vie⎟ est si fort scandaleux,	6+6
	Que vous m'obligerez⎟ à quelque éclat fâcheux.	6+6
	Je ne puis retenir⎟ ma bile davantage,	6+6
	Et ne saurais souffrir⎟ votre libertinage.	6+6
	Vous êtes pilier-né⎟ de tous les lansquenets,	6+6
240	Qui sont, pour la jeunesse,⎟ autant de trébuchets.	6+6
	Un bois plein de voleurs⎟ est un plus sûr passage ;	6+6
	Dans ces lieux, jour et nuit,⎟ ce n'est que brigandage.	6+6
	Il faut opter des deux,⎟ être dupe ou fripon.	6+6

HECTOR.
	Tous ces jeux de hasard⎟ n'attirent rien de bon.	6+6
245	J'aime les jeux galants⎟ où l'esprit se déploie.	6+6
À Géronte.
	C'est, Monsieur, par exemple,⎟ un joli jeu que l'oie.	6+6

GÉRONTE, à Hector.
	Tais-toi.
À Valère.
	Tais-toi. Non, à présent⎟ le jeu n'est que fureur :	6+6
	On joue argent, bijoux,⎟ maisons, contrats, honneur ;	6+6
	Et c'est ce qu'une femme,⎟ en cette humeur à craindre,	6+6
250	Risque plus volontiers,⎟ et perd plus sans se plaindre.	6+6

HECTOR.
	Oh ! Nous ne risquons pas,⎟ Monsieur, de tels bijoux.	6+6

GÉRONTE.
	Votre conduite enfin⎟ m'enflamme de courroux ;	6+6
	Je ne puis vous souffrir⎟ vivre de cette sorte :	6+6
	Vous m'avez obligé⎟ de vous fermer ma porte ;	6+6
255	J'étais las, attendant⎟ chez moi votre retour,	6+6
	Qu'on fît du jour la nuit,⎟ et de la nuit le jour.	6+6

HECTOR.
	C'est bien fait. Ces joueurs⎟ qui courent la fortune,	6+6
	Dans leurs dérèglements⎟ ressemblent à la lune,	6+6
	Se couchant le matin,⎟ et se levant le soir.	6+6

GÉRONTE.
260	Vous me poussez à bout ;⎟ mais je vous ferai voir	6+6
	Que si vous ne changez⎟ de vie et de manière,	6+6
	Je saurai me servir⎟ de mon pouvoir de père,	6+6
	Et que de mon courroux⎟ vous sentirez l'effet.	6+6

HECTOR, à Valère.
	Votre père a raison.⎟

GÉRONTE.
	Votre père a raison. Comme le voilà fait !	6+6
265	Débraillé, mal peigné,⎟ l'oeil hagard ! À sa mine	6+6
	On croirait qu'il viendrait,⎟ dans la forêt voisine,	6+6
	De faire un mauvais coup.⎟

HECTOR, à part.
	De faire un mauvais coup. On croirait vrai de lui :	6+6
	Il a fait trente fois⎟ coupe-gorge aujourd'hui.	6+6

GÉRONTE.
	Serez-vous bientôt las⎟ d'une telle conduite ?	6+6
270	Parlez, que dois-je enfin⎟ espérer dans la suite ?	6+6

VALÈRE.
	Je reviens aujourd'hui⎟ de mon égarement,	6+6
	Et ne veux plus jouer,⎟ mon père, absolument.	6+6

HECTOR, à part.
	Voilà du fruit nouveau⎟ dont son fils le régale.	6+6

GÉRONTE.
	Quand ils n'ont pas un sou,⎟ voilà de leur morale.	6+6

VALÈRE.
275	J'ai de l'argent encore ;⎟ et, pour vous contenter,	6+6
	De mes dettes je veux⎟ aujourd'hui m'acquitter.	6+6

GÉRONTE.
	S'il est ainsi, vraiment,⎟ j'en ai bien de la joie.	6+6

Hector, bas à Valère.
	Vous acquitter, Monsieur !⎟ Avec quelle monnoie ?	6+6

VALÈRE, bas à Hector.
	Te tairas-tu ?
Haut à son père.
	Te tairas-tu ? Mon oncle⎟ aspire dans ce jour	6+6
280	À m'ôter d'Angélique⎟ et la main et l'amour :	6+6
	Vous savez que pour elle⎟ il a l'âme blessée,	6+6
	Et qu'il veut m'enlever…⎟

GÉRONTE.
	Et qu'il veut m'enlever… Oui, je sais sa pensée,	6+6
	Et je serai ravi⎟ de le voir confondu.	6+6

Hector, à Géronte.
	Vous n'avez qu'à parler,⎟ c'est un homme tondu.	6+6

GÉRONTE.
285	Je voudrais bien déjà⎟ que l'affaire fût faite.	6+6
	Angélique est fort riche,⎟ et point du tout coquette,	6+6
	Maîtresse de son choix.⎟ Avec ce bon dessein,	6+6
	Va te mettre en état⎟ de mériter sa main,	6+6
	Payer tes créanciers…⎟

VALÈRE.
	Payer tes créanciers… J'y vais, j'y cours…
Il va pour sortir, parle bas à Hector, et revient.
	Payer tes créanciers… J'y vais, j'y cours… Mon père…	6+6

GÉRONTE.
	Hé ! Plaît-il ?

VALÈRE.
290	Hé ! Plaît-il ? Pour sortir⎟ entièrement d'affaire,	6+6
	Il me manque environ⎟ quatre ou cinq mille francs.	6+6
	Si vous vouliez, Monsieur…⎟

GÉRONTE.
	Si vous vouliez, Monsieur… Ah ! Ah ! Je vous entends.	6+6
	Vous m'avez mille fois⎟ bercé de ces sornettes.	6+6
	Non ; comme vous pourrez,⎟ allez payer vos dettes.	6+6

VALÈRE.
	Mais, mon père, croyez…⎟

GÉRONTE.
295	Mais, mon père, croyez… À d'autres, s'il vous plaît.	6+6

VALÈRE.
	Prêtez-moi mille écus.⎟

HECTOR, à Géronte.
	Prêtez-moi mille écus. Nous paierons l'intérêt	6+6
	Au denier un.

VALÈRE.
	Au denier un. Monsieur…⎟

GÉRONTE.
	Au denier un. Monsieur… Je ne puis vous entendre.	6+6

VALÈRE.
	Je ne veux point, mon père,⎟ aujourd'hui vous surprendre ;	6+6
	Et pour vous faire voir⎟ quels sont mes bons desseins,	6+6
300	Retenez cet argent,⎟ et payez par vos mains.	6+6

HECTOR.
	Ah ! Parbleu, pour le coup,⎟ c'est être raisonnable.	6+6

GÉRONTE.
	Et de combien encore⎟ êtes-vous redevable ?	6+6

VALÈRE.
	La somme n'y fait rien.⎟

GÉRONTE.
	La somme n'y fait rien. La somme n'y fait rien ?	6+6

HECTOR.
	Non. Quand vous le verrez⎟ vivre en homme de bien,	6+6
305	Vous ne regretterez⎟ nullement la dépense ;	6+6
	Et nous ferons, Monsieur,⎟ la chose en conscience.	6+6

GÉRONTE.
	Écoutez : je veux bien⎟ faire un dernier effort ;	6+6
	Mais, après cela, si…⎟

VALÈRE.
	Mais, après cela, si… Modérez ce transport ;	6+6
	Que sur mes sentiments⎟ votre âme se repose.	6+6
310	Je vais voir Angélique ;⎟ et mon coeur se propose	6+6
	D'arrêter son courroux⎟ déjà prêt d'éclater.	6+6

SCÈNE VIII

HECTOR.
	Je m'en vais travailler,⎟ moi, pour vous contenter,	6+6
	À vous faire, en raisons⎟ claires et positives,	6+6
	Le mémoire succinct⎟ de nos dettes passives,	6+6
315	Et que j'aurai l'honneur⎟ de vous montrer dans peu.	6+6

SCÈNE IX

GÉRONTE, seul.
	Mon frère en son amour⎟ n'aura pas trop beau jeu.	6+6
	Non, quand ce ne serait⎟ que pour le contredire,	6+6
	Je veux rompre l'hymen⎟ où son amour aspire ;	6+6
	Et j'aurai deux plaisirs⎟ à la fois, si je puis,	6+6
320	De chagriner mon frère,⎟ et marier mon fils.	6+6

SCÈNE X

TOUTABAS.
	Avec tous les respects⎟ d'un coeur vraiment sincère,	6+6
	Je viens pour vous offrir⎟ mon petit ministère.	6+6
	Je suis, pour vous servir,⎟ gentilhomme auvergnac,	6+6
	Docteur dans tous les jeux,⎟ et maître de trictrac :	6+6
325	Mon nom est Toutabas,⎟ Vicomte de La Case,	6+6
	Et votre serviteur,⎟ pour terminer ma phrase.	6+6

GÉRONTE, à part.
	Un maître de trictrac !⎟ Il me prend pour mon fils.	6+6
Haut.
	Quoi ! Vous montrez, Monsieur,⎟ un tel art dans Paris ?	6+6
	Et l'on ne vous a pas⎟ fait présent, en galère,	6+6
	D'un brevet d'espalier ?⎟

TOUTABAS, à part.
330	D'un brevet d'espalier ? À quel homme ai-je affaire ?	6+6
Haut.
	Comment ! Je vous soutiens⎟ que dans tous les états	6+6
	On ne peut de mon art⎟ assez faire de cas ;	6+6
	Qu'un enfant de famille,⎟ et qu'on veut bien instruire,	6+6
	Devrait savoir jouer⎟ avant que savoir lire.	6+6

GÉRONTE.
335	Monsieur le professeur,⎟ avecque vos raisons,	6+6
	Il faudrait vous loger⎟ aux petites-maisons.	6+6

TOUTABAS.
	De quoi sert, je vous prie,⎟ une foule inutile	6+6
	De chanteurs, de danseurs,⎟ qui montrent par la ville ?	6+6
	Un jeune homme en est-il⎟ plus riche quand il sait	6+6
340	Chanter ré mi fa sol,⎟ ou danser un menuet ?	6+6
	Paiera-t-on des marchands⎟ la cohorte pressante	6+6
	Avec un vaudeville⎟ ou bien une courante ?	6+6
	Ne vaut-il pas bien mieux⎟ qu'un jeune cavalier	6+6
	Dans mon art au plus tôt⎟ se fasse initier ?	6+6
345	Qu'il sache, quand il perd,⎟ d'une âme non commune,	6+6
	À force de savoir,⎟ rappeler la fortune ?	6+6
	Qu'il apprenne un métier⎟ qui, par de sûrs secrets,	6+6
	En le divertissant,⎟ l'enrichisse à jamais ?	6+6

GÉRONTE.
	Vous êtes riche, à voir ?⎟

TOUTABAS.
	Vous êtes riche, à voir ? Le jeu fait vivre à l'aise	6+6
350	Nombre d'honnêtes gens,⎟ fiacres, porteurs de chaise ;	6+6
	Mille usuriers fournis⎟ de ces obscurs brillants,	6+6
	Qui vont de doigts en doigts⎟ tous les jours circulants ;	6+6
	Des gascons à souper⎟ dans les brelans fidèles ;	6+6
	Des chevaliers sans ordre ;⎟ et tant de demoiselles	6+6
355	Qui, sans le lansquenet⎟ et son produit caché,	6+6
	De leur faible vertu⎟ feraient fort bon marché,	6+6
	Et dont tous les hivers⎟ la cuisine se fonde	6+6
	Sur l'impôt établi⎟ d'une infaillible ronde.	6+6

GÉRONTE.
	S'il est quelque joueur⎟ qui vive de son gain,	6+6
360	On en voit tous les jours⎟ mille mourir de faim,	6+6
	Qui, forcés à garder⎟ une longue abstinence,	6+6
	Pleurent d'avoir trop mis⎟ à la réjouissance.	6+6

TOUTABAS.
	Et c'est de là que vient⎟ la beauté de mon art.	6+6
	En suivant mes leçons,⎟ on court peu ce hasard.	6+6
365	Je sais, quand il le faut,⎟ par un peu d'artifice,	6+6
	D'un sort injurieux⎟ corriger la malice ;	6+6
	Je sais dans un trictrac,⎟ quand il faut un sonnez,	6+6
	Glisser des dés heureux,⎟ ou chargés, ou pipés ;	6+6
	Et quand mon plein est fait,⎟ gardant mes avantages,	6+6
370	J'en substitue aussi⎟ d'autres prudents et sages,	6+6
	Qui, n'offrant à mon gré⎟ que des as à tous coups,	6+6
	Me font en un instant⎟ enfiler douze trous.	6+6

GÉRONTE.
	Et Monsieur Toutabas,⎟ vous avez l'insolence	6+6
	De venir dans ces lieux⎟ montrer votre science ?	6+6

TOUTABAS.
	Oui, monsieur, s'il vous plaît.⎟

GÉRONTE.
375	Oui, monsieur, s'il vous plaît. Et vous ne craignez pas	6+6
	Que j'arme contre vous⎟ quatre paires de bras,	6+6
	Qui le long de vos reins ?⎟ …

TOUTABAS.
	Qui le long de vos reins ? … Monsieur, point de colère ;	6+6
	Je ne suis point ici⎟ venu pour vous déplaire.	6+6

Géronte, le poussant.
	Maître juré filou,⎟ sortez de la maison.	6+6

TOUTABAS.
380	Non, je n'en sors qu'après⎟ vous avoir fait leçon ?	6+6

GÉRONTE.
	À moi, leçon ?

TOUTABAS.
	À moi, leçon ? Je veux,⎟ par mon savoir extrême,	6+6
	Que vous escamotiez⎟ un dé comme moi-même.	6+6

GÉRONTE.
	Je ne sais qui me tient,⎟ tant je suis animé,	6+6
	Que quelques bons soufflets⎟ donnés à poing fermé…	6+6
	Va-t'en.
Il le prend par les épaules.

TOUTABAS.
385	Va-t'en. Puisque aujourd'hui⎟ votre humeur pétulante	6+6
	Vous rend l'âme aux leçons⎟ un peu récalcitrante,	6+6
	Je reviendrai demain⎟ pour la seconde fois.	6+6

GÉRONTE.
	Reviens.

TOUTABAS.
	Reviens. Vous plairait-il⎟ de m'avancer le mois ?	6+6

GÉRONTE, le poussant tout à fait dehors.
	Sortiras-tu d'ici,⎟ vrai gibier de potence ?	6+6

SCÈNE XI

GÉRONTE, seul.
390	Je ne puis respirer,⎟ et j'en mourrai, je pense.	6+6
	Heureusement mon fils⎟ n'a point vu ce fripon :	6+6
	Il me prenait pour lui⎟ dans cette occasion.	6+6
	Sachons ce qu'il a fait ;⎟ et, sans plus de mystère,	6+6
	Concluons son hymen,⎟ et finissons l'affaire.	6+6

ACTE II

SCÈNE I

ANGÉLIQUE.
395	Mon coeur serait bien lâche,⎟ après tant de serments,	6+6
	D'avoir encor pour lui⎟ de tendres mouvements.	6+6
	Nérine, c'en est fait,⎟ pour jamais je l'oublie ;	6+6
	Je ne veux ni l'aimer,⎟ ni le voir de ma vie ;	6+6
	Je sens la liberté⎟ de retour dans mon coeur.	6+6
400	Ne me viens pas, au moins,⎟ parler en sa faveur.	6+6

NÉRINE.
	Moi, parler pour Valère !⎟ Il faudrait être folle.	6+6
	Que plutôt à jamais⎟ je perde la parole !	6+6

ANGÉLIQUE.
	Ne viens point désormais,⎟ pour calmer mon dépit,	6+6
	Rappeler à mes sens⎟ son air et son esprit ;	6+6
	Car tu sais qu'il en a.⎟

NÉRINE.
405	Car tu sais qu'il en a. De l'esprit ! Lui, madame !	6+6
	Il est plus journalier⎟ mille fois qu'une femme :	6+6
	Il rêve à tout moment ;⎟ et sa vivacité	6+6
	Dépend presque toujours⎟ d'une carte, ou d'un dé.	6+6

ANGÉLIQUE.
	Mon coeur est maintenant⎟ certain de sa victoire.	6+6

NÉRINE.
410	Madame, croyez-moi,⎟ je connais le grimoire.	6+6
	Souvent tous ces dépits⎟ sont des hoquets d'amour.	6+6

ANGÉLIQUE.
	Non ; l'amour de mon coeur⎟ est banni sans retour.	6+6

NÉRINE.
	Cet hôte dans un coeur⎟ a bientôt fait son gîte ;	6+6
	Mais il se garde bien⎟ d'en déloger si vite.	6+6

ANGÉLIQUE.
	Ne crains rien de mon coeur.⎟

NÉRINE.
415	Ne crains rien de mon coeur. S'il venait à l'instant,	6+6
	Avec cet air flatteur,⎟ soumis, insinuant,	6+6
	Que vous lui connaissez ;⎟ que d'un ton pathétique,	6+6
Elle se met à ses pieds.
	Il vous dît à vos pieds :⎟ "Non, charmante Angélique,	6+6
	Je ne veux opposer⎟ à tout votre courroux	6+6
420	Qu'un seul mot : je vous aime,⎟ et je n'aime que vous.	6+6
	Votre âme en ma faveur⎟ n'est-elle point émue ?	6+6
	Vous ne me dites rien !⎟ Vous détournez la vue !	6+6
Elle se relève.
	Vous voulez donc ma mort ?⎟ Il faut vous contenter."	6+6
	Peut-être en ce moment⎟ pour vous épouvanter,	6+6
425	Il se soufflettera⎟ d'une main mutinée,	6+6
	Se donnera du front⎟ contre une cheminée,	6+6
	S'arrachera de rage⎟ un toupet de cheveux	6+6
	Qui ne sont pas à lui.⎟ Mais de ces airs fougueux	6+6
	Ne vous étonnez pas ;⎟ comptez qu'en sa colère	6+6
	Il ne se fera pas⎟ grand mal.

ANGÉLIQUE.
430	Il ne se fera pas grand mal. Laisse-moi faire.	6+6

NÉRINE.
	Vous voilà, grâce au ciel,⎟ bien instruite sur tout ;	6+6
	Ne vous démentez point,⎟ tenez bon jusqu'au bout.	6+6

SCÈNE II

LA COMTESSE.
	On dit partout, ma soeur,⎟ qu'un peu moins prévenue,	6+6
	Vous épousez Dorante.⎟

ANGÉLIQUE.
	Vous épousez Dorante. Oui, j'y suis résolue.	6+6

LA COMTESSE.
435	Mon coeur en est ravi.⎟ Valère est un vrai fou,	6+6
	Qui jouerait votre bien⎟ jusques au dernier sou.	6+6

ANGÉLIQUE.
	D'accord.

LA COMTESSE.
	D'accord. J'aime à vous voir⎟ vaincre votre tendresse.	6+6
	Cet amour, entre nous,⎟ était une faiblesse.	6+6
	Il faut se dégager⎟ de ces attachements	6+6
440	Que la raison condamne⎟ et qui flattent nos sens.	6+6

ANGÉLIQUE.
	Il est vrai.

LA COMTESSE.
	Il est vrai. Rien n'est plus⎟ à craindre dans la vie,	6+6
	Qu'un époux qui du jeu⎟ ressent la tyrannie.	6+6
	J'aimerais mieux qu'il fût⎟ gueux, avaricieux,	6+6
	Coquet, fâcheux, mal fait,⎟ brutal, capricieux,	6+6
445	Ivrogne, sans esprit,⎟ débauché, sot, colère,	6+6
	Que d'être un emporté⎟ joueur comme est Valère.	6+6

ANGÉLIQUE.
	Je sais que ce défaut⎟ est le plus grand de tous.	6+6

LA COMTESSE.
	Vous ne voulez donc plus⎟ en faire votre époux ?	6+6

ANGÉLIQUE.
	Moi ? Non : dans ce dessein⎟ nos humeurs sont conformes.	6+6

NÉRINE.
450	Il a, ma foi, reçu⎟ son congé dans les formes.	6+6

LA COMTESSE.
	C'est bien fait. Puisque enfin⎟ vous renoncez à lui,	6+6
	Je vais l'épouser, moi.⎟

ANGÉLIQUE.
	Je vais l'épouser, moi. L'épouser ?

LA COMTESSE.
	Je vais l'épouser, moi. L'épouser ? Aujourd'hui.	6+6

ANGÉLIQUE.
	Ce joueur, qu'à l'instant ?⎟…

LA COMTESSE.
	Ce joueur, qu'à l'instant ?… Je saurai le réduire.	6+6
	On sait sur les maris⎟ ce que l'on a d'empire.	6+6

ANGÉLIQUE.
455	Quoi ! Vous voulez, ma soeur,⎟ avec cet air si doux,	6+6
	Ce maintien réservé,⎟ prendre un nouvel époux ?	6+6

LA COMTESSE.
	Et pourquoi non, ma soeur ?⎟ Fais-je donc un grand crime	6+6
	De rallumer les feux⎟ d'un amour légitime ?	6+6
	J'avais fait voeu de fuir⎟ tout autre engagement.	6+6
460	Pour garder du défunt⎟ le souvenir charmant,	6+6
	Je portais son portrait ;⎟ et cette vive image	6+6
	Me soulageait un peu⎟ des chagrins du veuvage :	6+6
	Mais qu'est-ce qu'un portrait,⎟ quand on aime bien fort ?	6+6
	C'est un époux vivant⎟ qui console d'un mort.	6+6

NÉRINE.
465	Madame n'aime pas⎟ les maris en peinture.	6+6

LA COMTESSE.
	Cela racquitte-t-il⎟ d'une perte aussi dure ?	6+6

NÉRINE.
	C'est irriter le mal,⎟ au lieu de l'adoucir.	6+6

ANGÉLIQUE.
	ConnAisseuse en maris,⎟ vous deviez mieux choisir.	6+6
	Vous unir à Valère !⎟

LA COMTESSE.
	Vous unir à Valère ! Oui, ma soeur, à lui-même.	6+6

ANGÉLIQUE.
470	Mais vous n'y pensez pas.⎟ Croyez-vous qu'il vous aime ?	6+6

LA COMTESSE.
	S'il m'aime, lui ! S'il m'aime !⎟ Ah ! Quel aveuglement !	6+6
	On a certains attraits,⎟ un certain enjouement,	6+6
	Que personne ne peut⎟ me disputer, je pense.	6+6

ANGÉLIQUE.
	Après un si long temps⎟ de pleine jouissance,	6+6
475	Vos attraits sont à vous⎟ sans contestation.	6+6

LA COMTESSE.
	Et je puis en user⎟ à ma discrétion.	6+6

ANGÉLIQUE.
	Sans doute. Et je vois bien⎟ qu'il n'est pas impossible	6+6
	Que Valère pour vous⎟ ait eu le coeur sensible.	6+6
	L'or est d'un grand secours⎟ pour acheter un coeur ;	6+6
480	Ce métal, en amour,⎟ est un grand séducteur.	6+6

LA COMTESSE.
	En vain vous m'insultez⎟ avec un tel langage ;	6+6
	La modération⎟ fut toujours mon partage :	6+6
	Mais ce n'est point par l'or⎟ que brillent mes attraits ;	6+6
	Et jamais, en aimant,⎟ je ne fis de faux frais.	6+6
485	Mes sentiments, ma soeur,⎟ sont différents des vôtres ;	6+6
	Si je connais l'amour,⎟ ce n'est que dans les autres.	6+6
	J'ai beau m'armer de fier,⎟ je vois de toutes parts	6+6
	Mille coeurs amoureux⎟ suivre mes étendards :	6+6
	Un conseiller de robe,⎟ un seigneur de finance,	6+6
490	Dorante, le marquis⎟ briguent mon alliance ;	6+6
	Mais si d'un nouveau noeud⎟ je veux bien me lier,	6+6
	Je prétends à Valère⎟ offrir un coeur entier.	6+6
	Je fais profession⎟ d'une vertu sévère.	6+6

ANGÉLIQUE.
	Qui peut vous assurer⎟ de l'amour de Valère ?	6+6

LA COMTESSE.
495	Qui peut m'en assurer ?⎟ Mon mérite, je crois.	6+6

ANGÉLIQUE.
	D'autres sur lui, ma soeur,⎟ auraient les mêmes droits.	6+6

LA COMTESSE.
	Il n'eut jamais pour vous⎟ qu'une estime stérile,	6+6
	Un petit feu léger,⎟ vagabond, volatile.	6+6
	Quand on veut inspirer⎟ une solide amour,	6+6
500	Il faut avoir vécu,⎟ ma soeur, bien plus d'un jour ;	6+6
	Avoir un certain poids,⎟ une beauté formée	6+6
	Par l'usage du monde,⎟ et des ans confirmée.	6+6
	Vous n'en êtes pas là.⎟

ANGÉLIQUE.
	Vous n'en êtes pas là. J'attendrai bien du temps.	6+6

NÉRINE.
	Madame est prévoyante,⎟ elle a pris les devants.	6+6
	Mais on vient.

SCÈNE III

LE LAQUAIS, à la Comtesse.
505	Mais on vient. Le Marquis,⎟ Madame, est là qui monte.	6+6

LA COMTESSE.
	Le Marquis ? Hé ! Non, non ;⎟ il n'est pas sur mon compte.	6+6

SCÈNE IV

Le Marquis, se rajustant, à la Comtesse.
	Je suis tout en désordre :⎟ un maudit embarras	6+6
	M'a fait quitter ma chaise⎟ à deux ou trois cents pas ;	6+6
	Et j'y serais encor⎟ dans des peines mortelles,	6+6
510	Si l'amour, pour vous voir,⎟ ne m'eût prêté ses ailes.	6+6

LA COMTESSE.
	Que monsieur le Marquis⎟ est galant sans fadeur !	6+6

LE MARQUIS.
	Oh ! Point du tout, je suis⎟ votre humble serviteur.	6+6
	Mais, à vous parler net,⎟ sans que l'esprit fatigue,	6+6
	Près du sexe je sais⎟ me démêler d'intrigue.	6+6
Apercevant Angélique.
515	Ah ! Juste ciel ! Quel est⎟ cet admirable objet !	6+6

LA COMTESSE.
	C'est ma soeur.

LE MARQUIS.
	C'est ma soeur. Votre soeur !⎟ Vraiment, c'est fort bien fait.	6+6
	Je vous sais gré d'avoir⎟ une soeur aussi belle ;	6+6
	On la prendrait, parbleu,⎟ pour votre soeur jumelle.	6+6

LA COMTESSE.
	Comme à tout ce qu'il dit⎟ il donne un joli tour !	6+6
520	Qu'il est sincère ! On voit⎟ qu'il est homme de cour.	6+6

LE MARQUIS.
	Homme de cour, moi ! Non.⎟ Ma foi, la cour m'ennuie ;	6+6
	L'esprit de ce pays⎟ n'est qu'en superficie ;	6+6
	Sitôt que vous voulez⎟ un peu l'approfondir,	6+6
	Vous rencontrez le tuf.⎟ J'y pourrais m'agrandir ;	6+6
525	J'ai de l'esprit, du coeur,⎟ plus que seigneur de France ;	6+6
	Je joue, et j'y ferais⎟ fort bonne contenance :	6+6
	Mais je n'y vais jamais⎟ que par nécessité,	6+6
	Et pour y rendre au roi⎟ quelque civilité.	6+6

NÉRINE.
	Il vous est obligé,⎟ Monsieur, de tant de peine.	6+6

LE MARQUIS.
530	Je n'y suis pas plus tôt,⎟ soudain je perds haleine.	6+6
	Ces fades compliments⎟ sur de grands mots montés,	6+6
	Ces protestations⎟ qui sont futilités,	6+6
	Ces serrements de mains⎟ dont on vous estropie,	6+6
	Ces grands embrassements⎟ dont un flatteur vous lie,	6+6
535	M'ôtent à tout moment⎟ la respiration :	6+6
	On ne s'y dit bonjour⎟ que par convulsion.	6+6

ANGELIQUE, au Marquis.
	Les dames de la cour⎟ sont bien mieux votre affaire ?	6+6

LE MARQUIS.
	Point. Il faut être au moins⎟ gros fermier pour leur plaire :	6+6
	Leur sotte vanité⎟ croit ne pouvoir trop haut	6+6
540	À des faveurs de cour⎟ mettre un injuste taux.	6+6
	Moi, j'aime à pourchasser⎟ des beautés mitoyennes.	6+6
	L'hiver, dans un fauteuil,⎟ avec des citoyennes,	6+6
	Les pieds sur les chenets⎟ étendus sans façons,	6+6
	Je pousse la fleurette,⎟ et conte mes raisons.	6+6
545	Là toute la maison⎟ s'offre à me faire fête ;	6+6
	Valet, filles de chambre,⎟ enfants, tout est honnête :	6+6
	L'époux même discret,⎟ quand il entend minuit,	6+6
	Me laisse avec madame,⎟ et va coucher sans bruit.	6+6
	Voilà comme je vis,⎟ quand parfois dans la ville	6+6
	Je veux bien déroger…⎟

NÉRINE.
550	Je veux bien déroger… La manière est facile ;	6+6
	Et ce commerce-là⎟ me paraît assez doux.	6+6

Le Marquis, à la Comtesse.
	C'est ainsi que je veux⎟ en user avec vous.	6+6
	Je suis tout naturel,⎟ et j'aime la franchise :	6+6
	Ma bouche ne dit rien⎟ que mon coeur n'autorise :	6+6
555	Et quand de mon amour⎟ je vous fais un aveu,	6+6
	Madame, il est trop vrai⎟ que je suis tout en feu.	6+6

LA COMTESSE.
	Fi donc, petit badin,⎟ un peu de retenue ;	6+6
	Vous me parlez, Marquis,⎟ une langue inconnue :	6+6
	Le mot d'amour me blesse,⎟ et me fait trouver mal.	6+6

LE MARQUIS.
560	L'effet n'en serait pas⎟ peut-être si fatal.	6+6

NÉRINE.
	Elle veut qu'en détours⎟ la chose s'enveloppe ;	6+6
	Et ce mot dit à cru⎟ lui cause une syncope.	6+6

ANGÉLIQUE.
	Dans la bouche d'un autre⎟ il deviendrait plus doux.	6+6

LA COMTESSE.
	Comment ? Qu'est-ce ? Plaît-il ?⎟ Parlez ; expliquez-vous.	6+6
565	Parlez donc, parlez donc.⎟ Apprenez, je vous prie,	6+6
	Que mortel, quel qu'il soit,⎟ ne me dit de ma vie	6+6
	Un mot douteux qui pût⎟ effleurer mon honneur.	6+6

LE MARQUIS.
	Croirait-on qu'une veuve⎟ aurait tant de pudeur ?	6+6

ANGÉLIQUE.
	Mais Valère vous aime :⎟ et souvent…

LE MARQUIS.
	Mais Valère vous aime : et souvent… Qu'est-ce à dire,	6+6
570	Valère ? Un autre ici⎟ conjointement soupire !	6+6
	Ah ! Si je le savais,⎟ je lui ferais, morbleu ! …	6+6
	Où loge-t-il ?

NÉRINE.
	Où loge-t-il ? Ici.⎟

Le Marquis fait semblant de s'en aller et revient.
	Où loge-t-il ? Ici. Nous nous verrons dans peu.	6+6

LA COMTESSE.
	Mais quel droit avez-vous⎟ sur moi ?

LE MARQUIS.
	Mais quel droit avez-vous sur moi ? Quel droit, ma reine ?	6+6
	Le droit de bienséance⎟ avec celui d'aubaine.	6+6
575	Vous me convenez fort,⎟ et je vous conviens mieux.	6+6
	Sur vous l'on sait assez⎟ que je jette les yeux.	6+6

LA COMTESSE.
	Vous êtes fou, Marquis,⎟ de parler de la sorte.	6+6

LE MARQUIS.
	Je sais ce que je dis,⎟ ou le diable m'emporte.	6+6

LA COMTESSE.
	Sommes-nous donc liés⎟ par quelque engagement ?	6+6

LE MARQUIS.
	Non pas autrement… mais…⎟

LA COMTESSE.
580	Non pas autrement… mais… Qu'est-ce à dire ? Comment ? …	6+6
	Parlez.

LE MARQUIS.
	Parlez. Je ne sais point⎟ prendre en main des trompettes,	6+6
	Pour publier partout⎟ les faveurs qu'on m'a faites.	6+6

ANGÉLIQUE.
	Hé, ma soeur !

NÉRINE.
	Hé, ma soeur ! Des faveurs !⎟

LE MARQUIS.
	Hé, ma soeur ! Des faveurs ! Suffit, je suis discret ;	6+6
	Et sais, quand il le faut,⎟ oublier un secret.	6+6

LA COMTESSE.
585	On ne connaît que trop⎟ ma retenue austère.	6+6
	Il veut rire.

LE MARQUIS.
	Il veut rire. Ah ! Parbleu,⎟ je saurai de Valère	6+6
	Quel est, en vous aimant,⎟ le but de ses désirs,	6+6
	Et de quel droit il vient⎟ chasser sur mes plaisirs.	6+6

SCÈNE V

Le Laquais, rendant un billet au Marquis.
	Monsieur, c'est de la part⎟ de la grosse comtesse.	6+6

Le Marquis, le mettant dans sa poche.
	Je le lirai tantôt.⎟
Le laquais sort.

SCÈNE VI

Second Laquais.
590	Je le lirai tantôt. Cette jeune duchesse	6+6
	Vous attend à vingt pas⎟ pour vous mener au jeu.	6+6

LE MARQUIS.
	Qu'elle attende.
Le second laquais sort.

SCÈNE VII

Le Troisième Laquais.
	Qu'elle attende. Monsieur…⎟

LE MARQUIS.
	Qu'elle attende. Monsieur… Encore ! Ah ! Palsambleu,	6+6
	Il faut que de la ville⎟ enfin je me dérobe.	6+6

Le Troisième Laquais.
	Je viens de voir, Monsieur,⎟ cette femme de robe,	6+6
595	Qui dit que cette nuit⎟ son mari couche aux champs,	6+6
	Et que ce soir, sans bruit…⎟

LE MARQUIS.
	Et que ce soir, sans bruit… Il suffit, je t'entends.	6+6
	Tu prendras ce manteau,⎟ fait pour bonne fortune,	6+6
	De couleur de muraille ;⎟ et tantôt, sur la brune,	6+6
	Va m'attendre en secret⎟ où tu fus avant-hier,	6+6
	Là…

Le Troisième Laquais.
	Là… Je sais.
Il sort.

SCÈNE VIII

LE MARQUIS.
600	Là… Je sais. Il faudrait⎟ avoir un corps de fer	6+6
	Pour résister à tout.⎟ J'ai de l'ouvrage à faire,	6+6
	Comme vous le voyez ;⎟ mais je m'en veux distraire.	6+6
À la Comtesse.
	Vous ferez désormais⎟ tous mes soins les plus doux.	6+6

LA COMTESSE.
	Si mon coeur était libre,⎟ il pourrait être à vous.	6+6

LE MARQUIS.
605	Adieu, charmant objet :⎟ à regret je vous quitte.	6+6
	C'est un pesant fardeau⎟ d'avoir un gros mérite.	6+6

SCÈNE IX

NÉRINE, à la Comtesse.
	Cet homme-là vous aime⎟ épouvantablement.	6+6

ANGÉLIQUE, à la Comtesse.
	Je ne vous croyais pas⎟ un tel engagement.	6+6

LA COMTESSE.
	Il est vif.

ANGÉLIQUE.
	Il est vif. Il vous aime ;⎟ et son ardeur est belle.	6+6

LA COMTESSE.
610	L'amour qu'il a pour moi⎟ lui tourne la cervelle :	6+6
	Il ne m'a pourtant vue⎟ encore que deux fois.	6+6

NÉRINE.
	Il en a donc bien fait⎟ la première…

SCÈNE X

NÉRINE.
	Il en a donc bien fait la première… Je crois	6+6
	Voir Valère.

LA COMTESSE.
	Voir Valère. L'amour⎟ auprès de moi le guide.	6+6

NÉRINE.
	Il tremble en approchant.⎟

LA COMTESSE.
	Il tremble en approchant. J'aime un amant timide,	6+6
À Valère.
615	Cela marque un bon fond.⎟ Approchez, approchez ;	6+6
	Ouvrez de votre coeur⎟ les sentiments cachés.	6+6
À Angélique.
	Vous allez voir, ma soeur.⎟

VALÈRE, à la Comtesse.
	Vous allez voir, ma soeur. Ah ! Quel bonheur, Madame,	6+6
	Que vous me permettiez⎟ d'ouvrir toute mon âme ;	6+6
À Angélique.
	Et quel plaisir de dire,⎟ en des transports si doux,	6+6
620	Que mon coeur vous adore,⎟ et n'adore que vous !	6+6

LA COMTESSE.
	L'amour le trouble. Eh quoi !⎟ Que faites-vous, Valère ?	6+6

VALÈRE.
	Ce que vous-même ici⎟ m'avez permis de faire.	6+6

NÉRINE, à part.
	Voici du quiproquo.⎟

VALÈRE, à Angélique.
	Voici du quiproquo. Que je serais heureux,	6+6
	S'il vous plaisait encor⎟ de recevoir mes voeux !	6+6

LA COMTESSE, à Valère.
	Vous vous méprenez.

VALÈRE, à La Comtesse.
625	Vous vous méprenez. Non.⎟ Enfin, belle Angélique,	6+6
	Entre mon oncle et moi⎟ que votre coeur s'explique ;	6+6
	Le mien est tout à vous,⎟ et jamais dans un coeur…	6+6

LA COMTESSE.
	Angélique !

VALÈRE.
	Angélique ! On ne vit⎟ une plus noble ardeur.	6+6

LA COMTESSE.
	Ce n'est donc pas pour moi⎟ que votre coeur soupire ?	6+6

VALÈRE.
630	Madame, en ce moment⎟ je n'ai rien à vous dire.	6+6
	Regardez votre soeur ;⎟ et jugez si ses yeux	6+6
	Ont laissé dans mon coeur⎟ de place à d'autres feux.	6+6

LA COMTESSE.
	Quoi ! D'aucun feu pour moi⎟ votre âme n'est éprise ?	6+6

VALÈRE.
	Quelques civilités⎟ que l'usage autorise…	6+6

LA COMTESSE.
	Comment ?

ANGÉLIQUE.
635	Comment ? Il ne faut pas⎟ avec sévérité	6+6
	Exiger des amants⎟ trop de sincérité.	6+6
	Ma soeur, tout doucement⎟ avalez la pilule.	6+6

LA COMTESSE.
	Taisez-vous, s'il vous plaît,⎟ petite ridicule.	6+6

VALÈRE, à La Comtesse.
	Vous avez cent vertus,⎟ de l'esprit, de l'éclat ;	6+6
	Vous êtes belle, riche,⎟ et…

LA COMTESSE.
640	Vous êtes belle, riche, et… Vous êtes un fat.	6+6

ANGÉLIQUE.
	La modération,⎟ qui fut votre partage,	6+6
	Vous ne la mettez pas,⎟ ma soeur, trop en usage.	6+6

LA COMTESSE.
	Monsieur vaut-il le soin⎟ qu'on se mette en courroux ?	6+6
	C'est un extravagant ;⎟ il est tout fait pour vous.	6+6
Elle sort.

SCÈNE XI

NÉRINE, à part.
	Elle connaît ses gens.⎟

VALÈRE.
645	Elle connaît ses gens. Oui, pour vous je soupire,	6+6
	Et je voudrais avoir⎟ cent bouches pour le dire.	6+6

NÉRINE, bas à Angélique.
	Allons, Madame, allons,⎟ ferme ; voici le choc :	6+6
	Point de faiblesse au moins,⎟ ayez un coeur de roc.	6+6

ANGÉLIQUE, bas à Nérine.
	Ne m'abandonne point.⎟

NÉRINE, bas à Angélique.
	Ne m'abandonne point. Non, non ; laissez-moi faire.	6+6

VALÈRE.
650	Mais que me sert, hélas !⎟ Que mon coeur vous préfère ?	6+6
	Que sert à mon amour⎟ un si sincère aveu ?	6+6
	Vous ne m'écoutez point,⎟ vous dédaignez mon feu.	6+6
	De vos beaux yeux pourtant,⎟ cruelle, il est l'ouvrage.	6+6
	Je sais qu'à vos beautés⎟ c'est faire un dur outrage	6+6
655	De nourrir dans mon coeur⎟ des désirs partagés ;	6+6
	Que la fureur du jeu⎟ se mêle où vous régnez :	6+6
	Mais…

ANGÉLIQUE.
	Mais… Cette passion⎟ est trop forte en votre âme	6+6
	Pour croire que l'amour⎟ d'aucun feu vous enflamme.	6+6
	Suivez, suivez l'ardeur⎟ de vos emportements ;	6+6
660	Mon coeur n'en aura point⎟ de jaloux sentiments.	6+6

NÉRINE, bas à Angélique.
	Optimè.

VALÈRE.
	Optimè. Désormais,⎟ plein de votre tendresse,	6+6
	Nulle autre passion⎟ n'a rien qui m'intéresse :	6+6
	Tout ce qui n'est point vous⎟ me paraît odieux.	6+6

ANGÉLIQUE, d'un ton plus tendre.
	Non, ne vous présentez⎟ jamais devant mes yeux.	6+6

NÉRINE, bas à Angélique.
	Vous mollissez.

VALÈRE.
665	Vous mollissez. Jamais !⎟ Quelle rigueur extrême !	6+6
	Jamais ! Ah ! Que ce mot⎟ est cruel quand on aime !	6+6
	Hé quoi ! Rien ne pourra⎟ fléchir votre courroux ?	6+6
	Vous voulez donc me voir⎟ mourir à vos genoux ?	6+6

ANGÉLIQUE.
	Je prends peu d'intérêt,⎟ Monsieur, à votre vie.	6+6

NÉRINE, bas à Angélique.
670	Nous allons bientôt voir⎟ jouer la comédie.	6+6

VALÈRE.
	Ma mort sera l'effet⎟ de mon cruel dépit.	6+6

NÉRINE, bas à Angélique.
	Qu'un amant mort pour nous⎟ nous mettrait en crédit !	6+6

VALÈRE.
	Vous le voulez ? Eh bien !⎟ Il faut vous satisfaire,	6+6
	Cruelle ! Il faut mourir.⎟
Il veut tirer son épée.

ANGÉLIQUE, l'arrêtant.
	Cruelle ! Il faut mourir. Que faites-vous, Valère ?	6+6

NÉRINE, bas à Angélique.
675	Eh bien ! Ne voilà pas⎟ votre tendre maudit	6+6
	Qui vous prend à la gorge !⎟ Euh !

ANGÉLIQUE, bas à Nérine.
	Qui vous prend à la gorge ! Euh ! Tu ne m'as pas dit,	6+6
	Nérine, qu'il viendrait⎟ se percer à ma vue :	6+6
	Et je tremble de peur⎟ quand une épée est nue.	6+6

NÉRINE, à part.
	Que les amants sont sots !⎟

VALÈRE.
	Que les amants sont sots ! Puisqu'un soin généreux	6+6
680	Vous intéresse encore⎟ aux jours d'un malheureux,	6+6
	Non, ce n'est point assez⎟ de me rendre la vie ;	6+6
	Il faut que par l'amour,⎟ désarmée, attendrie,	6+6
	Vous me rendiez encor⎟ ce coeur si précieux,	6+6
	Ce coeur sans qui le jour⎟ me devient odieux.	6+6

ANGÉLIQUE, bas à Nérine.
	Nérine, qu'en dis-tu ?⎟

NÉRINE, bas à Angélique.
685	Nérine, qu'en dis-tu ? Je dis qu'en la mêlée	6+6
	Vous avez moins de coeur⎟ qu'une poule mouillée.	6+6

VALÈRE.
	Madame, au nom des dieux,⎟ au nom de vos attraits…	6+6

ANGÉLIQUE.
	Si vous me promettiez…⎟

VALÈRE.
	Si vous me promettiez… Oui, je vous le promets,	6+6
	Que la fureur du jeu⎟ sortira de mon âme,	6+6
690	Et que j'aurai pour vous⎟ la plus ardente flamme…	6+6

NÉRINE, à part.
	Pour faire des serments⎟ il est toujours tout prêt.	6+6

ANGÉLIQUE.
	Il faut encore, ingrat,⎟ vouloir ce qu'il vous plaît.	6+6
	Oui, je vous rends mon coeur.⎟

VALÈRE, baisant la main d'angélique.
	Oui, je vous rends mon coeur. Ah ! Quelle joie extrême !	6+6

ANGÉLIQUE.
	Et pour vous faire voir⎟ à quel point je vous aime,	6+6
695	Je joins à ce présent⎟ celui de mon portrait.	6+6
Elle lui donne son portrait enrichi de diamants.

NÉRINE, à part.
	Hélas ! De mes sermons⎟ voilà quel est l'effet !	6+6

VALÈRE.
	Quel excès de faveurs !⎟

ANGÉLIQUE.
	Quel excès de faveurs ! Gardez-le, je vous prie.	6+6

VALÈRE, le baisant.
	Que je le garde, ô ciel !⎟ Le reste de ma vie…	6+6
	Que dis-je ? Je prétends⎟ que ce portrait si beau	6+6
700	Soit mis avecque moi⎟ dans le même tombeau,	6+6
	Et que même la mort⎟ jamais ne nous sépare.	6+6

NÉRINE, à part.
	Que l'esprit d'une fille⎟ est changeant et bizarre !	6+6

ANGÉLIQUE.
	Ne me trompez donc plus,⎟ Valère ; et que mon coeur	6+6
	Ne se repente point⎟ de sa facile ardeur.	6+6

VALÈRE.
705	Fiez-vous aux serments⎟ de mon âme amoureuse.	6+6

NÉRINE, à part.
	Ah ! Que voilà pour l'oncle⎟ une époque fâcheuse !	6+6

SCÈNE XII

VALÈRE, seul.
	Est-il dans l'univers⎟ de mortel plus heureux ?	6+6
	Elle me rend son coeur ;⎟ elle comble mes voeux,	6+6
	M'accable de faveurs…⎟

SCÈNE XIII

HECTOR.
	M'accable de faveurs… Monsieur, je viens vous dire…	6+6

VALÈRE.
710	Je suis tout transporté.⎟ Vois, considère, admire :	6+6
	Angélique m'a fait⎟ ce généreux présent.	6+6

HECTOR.
	Que les brillants sont gros !⎟ Pour être plus content,	6+6
	Je vous amène encore⎟ un lénitif de bourse,	6+6
	Une usurière.

VALÈRE.
	Une usurière. Et qui ?⎟

HECTOR.
	Une usurière. Et qui ? Madame La Ressource.	6+6

SCÈNE XIV

VALÈRE, embrassant Madame La Ressource.
715	Hé ! Bonjour, mon enfant :⎟ tu ne peux concevoir	6+6
	Jusqu'où va dans mon coeur⎟ le plaisir de te voir.	6+6

Madame LA RESSOURCE.
	Je vous suis obligée⎟ on ne peut davantage.	6+6

HECTOR.
	Elle est jolie encor.⎟ Mais quel sombre équipage !	6+6
	Vous voilà, sans mentir⎟ aussi noire qu'un four.	6+6

VALÈRE.
720	Ne vois-tu pas, Hector,⎟ que c'est un deuil de cour ?	6+6

Madame LA RESSOURCE.
	Oh ! Monsieur, point du tout.⎟ Je suis une bourgeoise,	6+6
	Qui sais me mesurer⎟ justement à ma toise.	6+6
	J'en connais bien pourtant,⎟ qui ne me valent pas,	6+6
	Qui se font teindre en noir⎟ du haut jusques en bas :	6+6
725	Mais pour moi je n'ai point⎟ cette sotte manie ;	6+6
	Et si mon pauvre époux⎟ était encore en vie…	6+6
Elle pleure.

VALÈRE.
	Quoi ! Monsieur La Ressource⎟ est mort ?

Madame LA RESSOURCE.
	Quoi ! Monsieur La Ressource est mort ? Subitement.	6+6

HECTOR, pleurant.
	Subitement ? Hélas !⎟ J'en suis fâché vraiment.	6+6
Bas à Valère.
	Au fait.

VALÈRE.
	Au fait. J'aurais besoin,⎟ Madame La Ressource,	6+6
	De mille écus.

Madame LA RESSOURCE.
730	De mille écus. Monsieur,⎟ disposez de ma bourse.	6+6

VALÈRE.
	Je fais, bien entendu,⎟ mon billet au porteur.	6+6

HECTOR.
	Et je veux l'endosser.⎟

Madame LA RESSOURCE.
	Et je veux l'endosser. Avec les gens d'honneur	6+6
	On ne perd jamais rien.⎟

VALÈRE.
	On ne perd jamais rien. Je veux que tu le prennes.	6+6
	Nous faisons ici bas⎟ des routes incertaines ;	6+6
735	Je pourrais bien mourir.⎟ Ce maraud m'avait dit	6+6
	Que sur des gages sûrs⎟ tu prêtais à crédit.	6+6

Madame LA RESSOURCE.
	Sur des gages, Monsieur ?⎟ C'est une médisance ;	6+6
	Je sais que ce serait⎟ blesser ma conscience.	6+6
	Pour des nantissements⎟ qui valent bien leur prix,	6+6
740	De la vieille vaisselle⎟ au poinçon de Paris,	6+6
	Des diamants usés,⎟ et qu'on ne saurait vendre,	6+6
	Sans risquer mon honneur,⎟ je crois que j'en puis prendre.	6+6

VALÈRE.
	Je n'ai pour te donner,⎟ vaisselle ni bijoux.	6+6

HECTOR.
	Oh ! Parbleu, nous marchons⎟ sans crainte des filous.	6+6

Madame LA RESSOURCE.
745	Eh bien ! Nous attendrons,⎟ Monsieur, qu'il vous en vienne.	6+6

VALÈRE.
	Compte, ma pauvre enfant,⎟ que ma mort est certaine,	6+6
	Si je n'ai dans ce jour⎟ mille écus.

Madame LA RESSOURCE.
	Si je n'ai dans ce jour mille écus. Ah ! Monsieur !	6+6
	Je voudrais les avoir ;⎟ ce serait de grand coeur.	6+6

VALÈRE.
	Ma charmante, mon coeur,⎟ ma reine, mon aimable,	6+6
750	Ma belle, ma mignonne,⎟ et ma tout adorable.	6+6

HECTOR, à genoux.
	Par pitié.

Madame LA RESSOURCE.
	Par pitié. Je ne puis.⎟

HECTOR.
	Par pitié. Je ne puis. Ah ! Que nous sommes fous !	6+6
	Tous ces gens-là, Monsieur,⎟ ont des coeurs de cailloux ;	6+6
	Sans des nantissements⎟ il ne faut rien prétendre.	6+6

VALÈRE.
	Dis-moi donc, si tu veux,⎟ où je les pourrai prendre.	6+6

HECTOR.
755	Attendez… mais comment,⎟ avec un coeur d'airain,	6+6
	Refuser un billet⎟ endossé de ma main ?	6+6

VALÈRE.
	Mais vois donc.

HECTOR.
	Mais vois donc. Laissez-moi ;⎟ je cherche en ma boutique.	6+6

VALÈRE, bas à Hector.
	Écoute… nous avons⎟ le portrait d'Angélique.	6+6
	Dans le temps difficile⎟ il faut un peu s'aider.	6+6

HECTOR, bas à Valère.
760	Ah ! Que dites-vous là ?⎟ Vous devez le garder.	6+6

VALÈRE, bas à Hector.
	D'accord : honnêtement⎟ je ne puis m'en défaire.	6+6

Madame LA RESSOURCE.
	Adieu. Quelque autre fois⎟ nous finirons l'affaire.	6+6

VALÈRE, à Madame La Ressource.
	Attendez donc.
Bas à Hector.
	Attendez donc. Tu sais⎟ jusqu'où vont mes besoins.	6+6
	N'ayant pas son portrait,⎟ l'en aimerai-je moins ?	6+6

HECTOR, bas à Valère.
765	Fort bien. Mais voulez-vous⎟ que cette perfidie ?…	6+6

VALÈRE, bas à Hector.
	Il est vrai. J'ai tantôt⎟ cette grosse partie	6+6
	De ces joueurs en fonds⎟ qui doivent s'assembler.	6+6

Madame LA RESSOURCE.
	Adieu.

VALÈRE, à Madame La Ressource.
	Adieu. Demeurez donc :⎟ où voulez-vous aller ?	6+6
Bas à Hector.
	Je ferai de l'argent ;⎟ ou celui de mon père,	6+6
770	Quoi qu'il puisse arriver,⎟ nous tirera d'affaire.	6+6

HECTOR, bas à Valère.
	Que peut dire Angélique⎟ alors qu'elle apprendra	6+6
	Que de son cher portrait ?⎟ …

VALÈRE, bas à Hector.
	Que de son cher portrait ? … Et qui le lui dira ?	6+6
	Dans une heure au plus tard⎟ nous irons le reprendre.	6+6

HECTOR, bas à Valère.
	Dans une heure ?

VALÈRE, bas à Hector.
	Dans une heure ? Oui, vraiment.⎟

HECTOR, bas à Valère.
	Dans une heure ? Oui, vraiment. Je commence à me rendre.	6+6

VALÈRE, bas à Hector.
775	Je me mettrais en gage⎟ en mon besoin urgent.	6+6

HECTOR, bas à Valère, le considérant.
	Sur cette nippe-là⎟ vous auriez peu d'argent.	6+6

VALÈRE, bas à Hector.
	On ne perd pas toujours,⎟ je gagnerai sans doute.	6+6

HECTOR, bas à Valère.
	Votre raisonnement⎟ met le mien en déroute.	6+6
	Je sais que ce micmac⎟ ne vaut rien dans le fond.	6+6

VALÈRE, bas à Hector.
780	Je m'en tirerai bien,⎟ Hector, je t'en réponds.	6+6
À Madame La Ressource, montrant le portrait d'Angélique.
	Peut-on, sur ce bijou,⎟ sans trop de complaisance ?…	6+6

Madame LA RESSOURCE.
	Oui, je puis maintenant⎟ prêter en conscience ;	6+6
	Je vois des diamants⎟ qui répondent du prêt,	6+6
	Et qui peuvent porter⎟ un modeste intérêt.	6+6
785	Voilà les mille écus⎟ comptés dans cette bourse.	6+6

VALÈRE.
	Je vous suis obligé,⎟ Madame La Ressource.	6+6
	Au moins, ne manquez pas⎟ de revenir tantôt :	6+6
	Je prétends retirer⎟ mon portrait au plus tôt.	6+6

Madame LA RESSOURCE.
	Volontiers. Nous aimons⎟ à changer de la sorte.	6+6
790	Plus notre argent fatigue,⎟ et plus il nous rapporte.	6+6
	Adieu, messieurs. Je suis⎟ tout à vous à ce prix.	6+6
Elle sort.

HECTOR, à Madame La Ressource.
	Adieu, juif, le plus juif⎟ qui soit dans tout Paris.	6+6

SCÈNE XV

HECTOR.
	Vous faites là, Monsieur,⎟ une action inique.	6+6

VALÈRE.
	Aux maux désespérés⎟ il faut de l'émétique :	6+6
795	Et cet argent, offert⎟ par les mains de l'amour,	6+6
	Me dit que la fortune⎟ est pour moi dans ce jour.	6+6

ACTE III

SCÈNE I

DORANTE.
	Quel est donc le sujet⎟ pourquoi ton coeur soupire ?	6+6

NÉRINE.
	Nous n'avons pas, Monsieur,⎟ tous deux, sujet de rire.	6+6

DORANTE.
	Dis-moi donc, si tu veux,⎟ le sujet de tes pleurs.	6+6

NÉRINE.
800	Il faut aller, Monsieur,⎟ chercher fortune ailleurs.	6+6

DORANTE.
	Chercher fortune ailleurs !⎟ As-tu fait quelque pièce	6+6
	Qui t'aurait fait sitôt⎟ chasser de ta maîtresse ?	6+6

NÉRINE, pleurant plus fort.
	Non : c'est de votre sort⎟ dont j'ai compassion ;	6+6
	Et c'est à vous d'aller⎟ chercher condition.	6+6

DORANTE.
	Que dis-tu ?

NÉRINE.
805	Que dis-tu ? Qu'Angélique⎟ est une âme légère,	6+6
	Et s'est mieux que jamais⎟ rengagée à Valère.	6+6

DORANTE.
	Quoique pour mon amour⎟ ce coup soit assommant,	6+6
	Je ne suis point surpris⎟ d'un pareil changement.	6+6
	Je sais que cet amant⎟ tout entière l'occupe :	6+6
810	De ses ardeurs pour moi⎟ je ne suis point la dupe ;	6+6
	Et lorsque de ses feux⎟ je sens quelque retour,	6+6
	Je dois tout au dépit,⎟ et rien à son amour.	6+6
	Je ne veux point, Nérine,⎟ éclater en injures,	6+6
	Ni rappeler ici⎟ ses serments, ses parjures :	6+6
815	Ainsi que mon amour,⎟ je calme mon courroux.	6+6

NÉRINE.
	Si vous saviez, Monsieur,⎟ ce que j'ai fait pour vous !	6+6

DORANTE.
	Tiens, reçois cette bague,⎟ et dis à ta maîtresse	6+6
	Que, malgré ses dédains,⎟ elle aura ma tendresse,	6+6
	Et que la voir heureuse⎟ est mon plus grand bonheur.	6+6

NÉRINE, prenant la bague en pleurant.
820	Ah ! Ah ! Je n'en puis plus ;⎟ vous me fendez le coeur.	6+6

SCÈNE II

HECTOR, à Géronte.
	Oui, monsieur, Angélique⎟ épousera Valère ;	6+6
	Ils ont signé la paix.⎟

GÉRONTE, à Hector.
	Ils ont signé la paix. Tant mieux.
À Dorante.
	Ils ont signé la paix. Tant mieux. Bonjour, mon frère.	6+6
	Qu'est-ce ? Eh bien ! Qu'avez-vous ?⎟ Vous êtes tout changé !	6+6
	Allons, gai. Vous a-t-on⎟ donné votre congé ?	6+6

DORANTE.
825	Vous êtes bien instruit⎟ des chagrins qu'on me donne !	6+6
	On ne me verra point⎟ violenter personne ;	6+6
	Et quand je perds un coeur⎟ qui cherche à s'éloigner,	6+6
	Mon frère, je prétends⎟ moins perdre que gagner.	6+6

GÉRONTE.
	Voilà les sentiments⎟ d'un héros de Cassandre.	6+6
830	Entre nous, vous aviez⎟ fort grand tort de prétendre	6+6
	Que sur votre neveu⎟ vous pussiez l'emporter.	6+6

DORANTE.
	Non ; je ne sus jamais⎟ jusque-là me flatter.	6+6
	La jeunesse toujours⎟ eut des droits sur les belles ;	6+6
	L'amour est un enfant⎟ qui badine avec elles :	6+6
835	Et quand, à certain âge,⎟ on veut se faire aimer,	6+6
	C'est un soin indiscret⎟ qu'on devrait réprimer.	6+6

GÉRONTE.
	Je suis, en vérité,⎟ ravi de vous entendre ;	6+6
	Et vous prenez la chose⎟ ainsi qu'il la faut prendre.	6+6

NÉRINE.
	Si l'on m'en avait cru,⎟ tout n'en irait que mieux.	6+6

DORANTE.
840	Ma présence est assez⎟ inutile en ces lieux.	6+6
	Je vais de mon amour⎟ tâcher à me défaire.	6+6
Il sort.

GÉRONTE.
	Allez, consolez-vous ;⎟ c'est fort bien fait, mon frère.	6+6
	Adieu.

SCÈNE III

GÉRONTE.
	Adieu. Le pauvre enfant !⎟ Son sort me fait pitié.	6+6

NÉRINE, s'en allant.
	J'en ai le coeur saisi.⎟

HECTOR.
	J'en ai le coeur saisi. Moi, j'en pleure à moitié.	6+6
	Le pauvre homme !

SCÈNE IV

HECTOR, tirant un papier roulé avec plusieurs autres papiers.
845	Le pauvre homme ! Voilà,⎟ Monsieur, un petit rôle	6+6
	Des dettes de mon maître.⎟ Il vous tient sa parole,	6+6
	Comme vous le voyez,⎟ et croit qu'en tout ceci	6+6
	Vous voudrez bien, Monsieur,⎟ tenir la vôtre aussi.	6+6

GÉRONTE.
	Çà, voyons, expédie⎟ au plus tôt ton affaire.	6+6

HECTOR.
850	J'aurai fait en deux mots.⎟ L'honnête homme de père !	6+6
	Ah ! Qu'à notre secours⎟ à propos vous venez !	6+6
	Encore un jour plus tard,⎟ nous étions ruinés.	6+6

GÉRONTE.
	Je le crois.

HECTOR.
	Je le crois. N'allez pas⎟ sur les points vous débattre ;	6+6
	Foi d'honnête garçon,⎟ je n'en puis rien rabattre :	6+6
855	Les choses sont, Monsieur,⎟ tout au plus juste prix ;	6+6
	De plus je vous promets⎟ que je n'ai rien omis.	6+6

GÉRONTE.
	Finis donc.

HECTOR.
	Finis donc. Il faut bien⎟ se mettre sur ses gardes.	6+6
	"Mémoire juste et bref⎟ de nos dettes criardes,	6+6
	Que Mathurin Géronte⎟ aurait tantôt promis,	6+6
860	Et promet maintenant⎟ de payer pour son fils."	6+6

GÉRONTE.
	Que je les paie ou non,⎟ ce n'est pas ton affaire.	6+6
	Lis toujours.

HECTOR.
	Lis toujours. C'est, Monsieur,⎟ ce que je m'en vais faire.	6+6
	"Item, doit à Richard⎟ cinq cents livres dix sous,	6+6
	Pour gages de cinq ans,⎟ frais, mises, loyaux-coûts."	6+6

GÉRONTE.
	Quel est ce Richard ?

HECTOR.
865	Quel est ce Richard ? Moi,⎟ fort à votre service.	6+6
	Ce nom n'étant point fait⎟ du tout à la propice	6+6
	D'un valet de joueur ;⎟ mon maître de nouveau	6+6
	M'a mis celui d'Hector,⎟ du valet de carreau.	6+6

GÉRONTE.
	Le beau nom ! Il devait⎟ appeler Angélique	6+6
870	Pallas, du nom connu⎟ de la dame de pique.	6+6

HECTOR.
	"Secondement, il doit⎟ à Jérémie Aaron,	6+6
	Usurier de métier,⎟ juif de religion… "	6+6

GÉRONTE.
	Tout beau, n'embrouillons point,⎟ s'il vous plaît, les affaires ;	6+6
	Je ne veux point payer⎟ les dettes usuraires.	6+6

HECTOR.
875	Eh bien ! Soit. "Plus, il doit⎟ à maints particuliers,	6+6
	Ou quidams, dont les noms,⎟ qualités et métiers	6+6
	Sont déduits plus au long⎟ avecque les parties,	6+6
	Ès assignations⎟ dont je tiens les copies,	6+6
	Dont tous lesdits quidams,⎟ ou du moins peu s'en faut,	6+6
880	Ont obtenu déjà⎟ sentence par défaut,	6+6
	La somme de dix mille⎟ une livre, une obole,	6+6
	Pour l'avoir, sans relâche,⎟ un an, sur sa parole,	6+6
	Habillé, voituré,⎟ coiffé, chaussé, ganté,	6+6
	Alimenté, rasé,⎟ désaltéré, porté."	6+6

GÉRONTE, faisant sauter les papiers que tient Hector.
885	Désaltéré, porté !⎟ Que le diable t'emporte,	6+6
	Et ton maudit mémoire⎟ écrit de telle sorte.	6+6

HECTOR, après avoir ramassé les papiers.
	Si vous ne m'en croyez,⎟ demain, pour vous trouver,	6+6
	J'enverrai les quidams⎟ tous à votre lever.	6+6

GÉRONTE.
	La belle cour !

HECTOR.
	La belle cour ! "De plus,⎟ à Margot De La Plante,	6+6
890	Personne de ses droits⎟ usante et jouissante,	6+6
	Est dû loyalement⎟ deux cent cinquante écus	6+6
	Pour ses appointements⎟ de deux quartiers échus."	6+6

GÉRONTE.
	Quelle est cette Margot ?⎟

HECTOR.
	Quelle est cette Margot ? Monsieur… c'est une fille…	6+6
	Chez laquelle mon maître…⎟ elle est vraiment gentille.	6+6

GÉRONTE.
	Deux cent cinquante écus !⎟

HECTOR.
895	Deux cent cinquante écus ! Ce n'est, ma foi, pas cher :	6+6
	Demandez ; c'est, Monsieur,⎟ un prix fait en hiver.	6+6

GÉRONTE.
	Et tu prétends, bourreau ?⎟ …

HECTOR, tournant le rôle.
	Et tu prétends, bourreau ? … Monsieur, point d'invectives.	6+6
	Voici le contenu⎟ de nos dettes actives :	6+6
	Et vous allez bien voir⎟ que le compte suivant,	6+6
900	Payé fidèlement,⎟ se monte à presque autant.	6+6

GÉRONTE.
	Voyons.

HECTOR.
	Voyons. "Premièrement,⎟ Isaac De La Serre… "	6+6
	Il est connu de vous.⎟

GÉRONTE.
	Il est connu de vous. Et de toute la terre :	6+6
	C'est ce négociant,⎟ ce banquier si fameux.	6+6

HECTOR.
	Nous ne vous donnons pas⎟ de ces effets véreux ;	6+6
905	Cela sent comme baume.⎟ Or donc ce De La Serre,	6+6
	Si bien connu de vous⎟ et de toute la terre,	6+6
	Ne nous doit rien.

GÉRONTE.
	Ne nous doit rien. Comment !⎟

HECTOR.
	Ne nous doit rien. Comment ! Mais un de ses parents,	6+6
	Mort aux champs de Fleurus,⎟ nous doit dix mille francs.	6+6

GÉRONTE.
	Voilà certainement⎟ un effet fort bizarre !	6+6

HECTOR.
910	Oh ! S'il n'était pas mort,⎟ c'était de l'or en barre.	6+6
	"Plus, à mon maître est dû,⎟ du chevalier Fijac,	6+6
	Les droits hypothéqués⎟ sur un tour de trictrac."	6+6

GÉRONTE.
	Que dis-tu ?

HECTOR.
	Que dis-tu ? La partie⎟ est de deux cents pistoles ;	6+6
	C'est une dupe ; il fait⎟ en un tour vingt écoles :	6+6
	Il ne faut plus qu'un coup.⎟

GÉRONTE, lui donnant un soufflet.
915	Il ne faut plus qu'un coup. Tiens, maraud, le voilà,	6+6
	Pour m'offrir un mémoire⎟ égal à celui-là.	6+6
	Va porter cet argent⎟ à celui qui t'envoie.	6+6

HECTOR.
	Il ne voudra jamais⎟ prendre cette monnoie.	6+6

GÉRONTE.
	Impertinent maraud !⎟ Va, je t'apprendrai bien	6+6
	Avecque ton trictrac…⎟

HECTOR.
920	Avecque ton trictrac… Il a dix trous à rien.	6+6

SCÈNE V

HECTOR, seul.
	Sa main est à frapper,⎟ non à donner, légère ;	6+6
	Et mon maître a bien fait⎟ de faire ailleurs affaire.	6+6

SCÈNE VI

Valère entre en comptant beaucoup d'argent dans son chapeau.

HECTOR, à part.
	Mais le voici qui vient⎟ poussé d'un heureux vent :	6+6
	Il a les yeux sereins⎟ et l'accueil avenant.	6+6
Haut.
925	Par votre ordre, Monsieur,⎟ j'ai vu Monsieur Géronte,	6+6
	Qui de notre mémoire⎟ a fait fort peu de compte :	6+6
	Sa monnaie est frappée⎟ avec un vilain coin ;	6+6
	Et de pareil argent⎟ nous n'avons pas besoin.	6+6
	J'ai vu, chemin faisant,⎟ aussi Monsieur Dorante :	6+6
	Morbleu ! Qu'il est fâché !⎟

VALÈRE, comptant toujours.
930	Morbleu ! Qu'il est fâché ! Mille deux cent cinquante.	6+6

HECTOR, à part.
	La flotte est arrivée⎟ avec les galions ;	6+6
	Cela va diablement⎟ hausser nos actions.	6+6
Haut.
	J'ai vu pareillement,⎟ par votre ordre, Angélique ;	6+6
	Elle m'a dit…

VALÈRE, frappant du pied.
	Elle m'a dit… Morbleu !⎟ Ce dernier coup me pique ;	6+6
935	Sans les cruels revers⎟ de deux coups inouïs,	6+6
	J'aurais encor gagné⎟ plus de deux cents louis.	6+6

HECTOR.
	Cette fille, Monsieur,⎟ de votre amour est folle.	6+6

VALÈRE, à part.
	Damon m'en doit encor⎟ deux cents sur sa parole.	6+6

HECTOR, le tirant par la manche.
	Monsieur, écoutez-moi ;⎟ calmez un peu vos sens ;	6+6
940	Je parle d'Angélique,⎟ et depuis fort longtemps.	6+6

VALÈRE, avec distraction.
	Ah ! D'Angélique ? Eh bien !⎟ Comment suis-je avec elle ?	6+6

HECTOR.
	On n'y peut être mieux.⎟ Ah ! Monsieur, qu'elle est belle !	6+6
	Et que j'ai de plaisir⎟ à vous voir raccroché !	6+6

VALÈRE, avec distraction.
	À te dire le vrai,⎟ je n'en suis pas fâché.	6+6

HECTOR.
945	Comment ! Quelle froideur⎟ s'empare de votre âme !	6+6
	Quelle glace ! Tantôt⎟ vous étiez tout de flamme.	6+6
	Ai-je tort quand je dis⎟ que l'argent de retour	6+6
	Vous fait faire toujours⎟ banqueroute à l'amour ?	6+6
	Vous vous sentez en fonds,⎟ ergo plus de maîtresse.	6+6

VALÈRE.
950	Ah ! Juge mieux, Hector,⎟ de l'amour qui me presse.	6+6
	J'aime autant que jamais ;⎟ mais sur ma passion	6+6
	J'ai fait, en te quittant,⎟ quelque réflexion.	6+6
	Je ne suis point du tout⎟ né pour le mariage.	6+6
	Des parents, des enfants,⎟ une femme, un ménage,	6+6
955	Tout cela me fait peur.⎟ J'aime la liberté.	6+6

HECTOR.
	Et le libertinage.⎟

VALÈRE.
	Et le libertinage. Hector, en vérité,	6+6
	Il n'est point dans le monde⎟ un état plus aimable	6+6
	Que celui d'un joueur :⎟ sa vie est agréable ;	6+6
	Ses jours sont enchaînés⎟ par des plaisirs nouveaux ;	6+6
960	Comédie, opéra,⎟ bonne chère, cadeaux :	6+6
	Il traîne en tous les lieux⎟ la joie et l'abondance :	6+6
	On voit régner sur lui⎟ l'air de magnificence ;	6+6
	Tabatières, bijoux :⎟ sa poche est un trésor :	6+6
	Sous ses heureuses mains⎟ le cuivre devient or.	6+6

HECTOR.
	Et l'or devient à rien.⎟

VALÈRE.
965	Et l'or devient à rien. Chaque jour mille belles	6+6
	Lui font la cour par lettre,⎟ et l'invitent chez elles :	6+6
	La porte, à son aspect,⎟ s'ouvre à deux grands battants.	6+6
	Là, vous trouvez toujours⎟ des gens divertissants ;	6+6
	Des femmes qui jamais⎟ n'ont pu fermer la bouche,	6+6
970	Et qui sur le prochain⎟ vous tirent à cartouche ;	6+6
	Des oisifs de métier,⎟ et qui toujours sur eux	6+6
	Portent de tout Paris⎟ le lardon scandaleux ;	6+6
	Des Lucrèces du temps,⎟ là, de ces filles veuves,	6+6
	Qui veulent imposer⎟ et se donner pour neuves ;	6+6
975	De vieux seigneurs toujours⎟ prêts à vous cajoler ;	6+6
	Des plaisants qui font rire⎟ avant que de parler.	6+6
	Plus agréablement⎟ peut-on passer la vie ?	6+6

HECTOR.
	D'accord. Mais quand on perd,⎟ tout cela vous ennuie.	6+6

VALÈRE.
	Le jeu rassemble tout ;⎟ il unit à la fois	6+6
980	Le turbulent Marquis,⎟ le paisible bourgeois.	6+6
	La femme du banquier,⎟ dorée et triomphante,	6+6
	Coupe orgueilleusement⎟ la duchesse indigente.	6+6
	Là, sans distinction,⎟ on voit aller de pair	6+6
	Le laquais d'un commis⎟ avec un duc et pair ;	6+6
985	Et quoi qu'un sort jaloux⎟ nous ait fait d'injustices,	6+6
	De sa naissance ainsi⎟ l'on venge les caprices.	6+6

HECTOR.
	À ce qu'on peut juger⎟ de ce discours charmant,	6+6
	Vous voilà donc en grâce⎟ avec l'argent comptant.	6+6
	Tant mieux. Pour se conduire⎟ en bonne politique,	6+6
990	Il faudrait retirer⎟ le portrait d'Angélique.	6+6

VALÈRE.
	Nous verrons.

HECTOR.
	Nous verrons. Vous savez…⎟

VALÈRE.
	Nous verrons. Vous savez… Je dois jouer tantôt.	6+6

HECTOR.
	Tirez-en mille écus.⎟

VALÈRE.
	Tirez-en mille écus. Oh ! Non, c'est un dépôt…	6+6

HECTOR.
	Pour mettre quelque chose⎟ à l'abri des orages,	6+6
	S'il vous plaisait du moins⎟ de me payer mes gages.	6+6

VALÈRE.
	Quoi ! Je te dois ?

HECTOR.
995	Quoi ! Je te dois ? Depuis⎟ que je suis avec vous,	6+6
	Je n'ai pas, en cinq ans,⎟ encor reçu cinq sous.	6+6

VALÈRE.
	Mon père te paiera ;⎟ l'article est au mémoire.	6+6

HECTOR.
	Votre père ? Ah ! Monsieur,⎟ c'est une mer à boire.	6+6
	Son argent n'a point cours,⎟ quoiqu'il soit bien de poids.	6+6

VALÈRE.
1000	Va, j'examinerai⎟ ton compte une autre fois.	6+6
	J'entends venir quelqu'un.⎟

HECTOR.
	J'entends venir quelqu'un. Je vois votre sellière.	6+6
	Elle a flairé l'argent.⎟

VALÈRE, mettant promptement son argent dans sa poche.
	Elle a flairé l'argent. Il faut nous en défaire.	6+6

HECTOR.
	Et Monsieur Galonier,⎟ votre honnête tailleur.	6+6

VALÈRE.
	Quel contre-temps !

SCÈNE VII

VALÈRE.
	Quel contre-temps ! Je suis⎟ votre humble serviteur.	6+6
1005	Bonjour, Madame Adam.⎟ Quelle joie est la mienne !	6+6
	Vous voir ! C'est du plus loin,⎟ parbleu, qu'il me souvienne.	6+6

Madame ADAM.
	Je viens pourtant ici⎟ souvent faire ma cour ;	6+6
	Mais vous jouez la nuit,⎟ et vous dormez le jour.	6+6

VALÈRE.
	C'est pour cette calèche⎟ à velours à ramage ?	6+6

Madame ADAM.
	Oui, s'il vous plaît.

VALÈRE.
1010	Oui, s'il vous plaît. Je suis⎟ fort content de l'ouvrage ;	6+6
	Il faut vous la payer…⎟
Bas à Hector.
	Il faut vous la payer… Songe par quel moyen	6+6
	Tu pourras me tirer⎟ de ce triste entretien.	6+6
Haut.
	Vous, Monsieur Galonier,⎟ quel sujet vous amène ?	6+6

Monsieur GALONIER.
	Je viens vous demander…⎟

HECTOR, à M. Galonier.
	Je viens vous demander… Vous prenez trop de peine.	6+6

Monsieur GALONIER, à Valère.
	Vous…

HECTOR, à M. Galonier.
1015	Vous… Vous faites toujours⎟ mes habits trop étroits.	6+6

Monsieur GALONIER, à Valère.
	Si…

HECTOR, à M. Galonier.
	Si… Ma culotte s'use⎟ en deux ou trois endroits.	6+6

Monsieur GALONIER, à Valère.
	Je…

HECTOR, à M. Galonier.
	Je… Vous cousez si mal…⎟

Madame ADAM.
	Je… Vous cousez si mal… Nous marions ma fille.	6+6

VALÈRE.
	Quoi ! Vous la mariez ?⎟ Elle est vive et gentille ;	6+6
	Et son époux futur⎟ doit en être content.	6+6

Madame ADAM.
1020	Nous aurions grand besoin⎟ d'un peu d'argent comptant.	6+6

VALÈRE.
	Je veux, Madame Adam,⎟ mourir à votre vue,	6+6
	Si j'ai…

Madame ADAM.
	Si j'ai… Depuis longtemps⎟ cette somme m'est due.	6+6

VALÈRE.
	Que je sois en maraud,⎟ déshonoré cent fois,	6+6
	Si l'on m'a vu toucher⎟ un sou depuis six mois !	6+6

HECTOR.
1025	Oui, nous avons tous deux,⎟ par pitié profonde,	6+6
	Fait voeu de pauvreté :⎟ nous renonçons au monde.	6+6

Monsieur GALONIER.
	Que votre coeur pour moi⎟ se laisse un peu toucher !	6+6
	Notre femme est, Monsieur,⎟ sur le point d'accoucher.	6+6
	Donnez-moi cent écus⎟ sur et tant moins des dettes.	6+6

HECTOR, à M. Galonier.
1030	Et de quoi diable aussi,⎟ du métier dont vous êtes,	6+6
	Vous avisez-vous là⎟ de faire des enfants ?	6+6
	Faites-moi des habits.⎟

Monsieur GALONIER.
	Faites-moi des habits. Seulement deux cents francs.	6+6

VALÈRE.
	Et mais… si j'en avais…⎟ comptez que dans la vie	6+6
	Personne de payer⎟ n'eut jamais tant d'envie.	6+6
	Demandez…

HECTOR.
1035	Demandez… S'il avait⎟ quelques deniers comptants,	6+6
	Ne me paierait-il pas⎟ mes gages de cinq ans ?	6+6
	Votre dette n'est pas⎟ meilleure que la mienne.	6+6

Madame ADAM.
	Mais quand faudra-t-il donc,⎟ Monsieur, que je revienne ?	6+6

VALÈRE.
	Mais… quand il vous plaira…⎟ dès demain ; que sait-on ?	6+6

HECTOR.
1040	Je vous avertirai⎟ quand il y fera bon.	6+6

Monsieur GALONIER.
	Pour moi, je ne sors point⎟ d'ici qu'on ne m'en chasse.	6+6

HECTOR, à part.
	Non, je ne vis jamais⎟ d'animal si tenace.	6+6

VALÈRE.
	Écoutez, je vous dis⎟ un secret qui, je crois,	6+6
	Vous plaira dans la suite⎟ autant et plus qu'à moi.	6+6
1045	Je vais me marier⎟ tout-à-fait : et mon père	6+6
	Avec mes créanciers⎟ doit me tirer d'affaire.	6+6

HECTOR.
	Pour le coup…

Madame ADAM.
	Pour le coup… Il me faut⎟ de l'argent cependant.	6+6

HECTOR.
	Cette raison vaut mieux⎟ que de l'argent comptant.	6+6
	Montrez-nous les talons.⎟

Monsieur GALONIER.
	Montrez-nous les talons. Monsieur, ce mariage	6+6
	Se fera-t-il bientôt ?⎟

HECTOR.
1050	Se fera-t-il bientôt ? Tout au plus tôt. J'enrage.	6+6

Madame ADAM.
	Sera-ce dans ce jour ?⎟

HECTOR.
	Sera-ce dans ce jour ? Nous l'espérons. Adieu.	6+6
	Sortez. Nous attendons⎟ la future en ce lieu :	6+6
	Si l'on vous trouve ici,⎟ vous gâterez l'affaire.	6+6

Madame ADAM.
	Vous me promettez donc ?⎟ …

HECTOR.
	Vous me promettez donc ? … Allez, laissez-moi faire.	6+6

Madame ADAM et Monsieur GALONIER, ensemble.
	Mais, monsieur…

HECTOR, les mettant dehors.
1055	Mais, monsieur… Que de bruit !⎟ Oh ! Parbleu, détalez.	6+6

SCÈNE VIII

HECTOR, riant.
	Voilà des créanciers⎟ assez bien régalés.	6+6
	Vous devriez pourtant,⎟ en fonds comme vous êtes…	6+6

VALÈRE.
	Rien ne porte malheur⎟ comme payer ses dettes.	6+6

HECTOR.
	Ah ! Je ne dois donc plus⎟ m'étonner désormais	6+6
1060	Si tant d'honnêtes gens⎟ ne les payent jamais.	6+6

SCÈNE IX

HECTOR.
	Mais voici le Marquis,⎟ ce héros de tendresse.	6+6

VALÈRE.
	C'est là le soupirant ?⎟

HECTOR.
	C'est là le soupirant ? Oui, de notre comtesse.	6+6

LE MARQUIS, vers la coulisse.
	Que ma chaise se tienne⎟ à deux cents pas d'ici.	6+6
	Et vous, mes trois laquais,⎟ éloignez-vous aussi :	6+6
	Je suis incognito .⎟
Les laquais sortent.

SCÈNE X

HECTOR, à Valère.
1065	Je suis incognito . Que prétend-il donc faire ?	6+6

LE MARQUIS, à Valère.
	N'est-ce pas vous, Monsieur,⎟ qui vous nommez Valère ?	6+6

VALÈRE.
	Oui, monsieur ; c'est ainsi⎟ qu'on m'a toujours nommé.	6+6

LE MARQUIS.
	Jusques au fond du coeur⎟ j'en suis, parbleu, charmé.	6+6
	Faites que ce valet⎟ à l'écart se retire.	6+6

VALÈRE, à Hector.
	Va-t'en.

HECTOR.
	Va-t'en. Monsieur…

VALÈRE.
1070	Va-t'en. Monsieur… Va-t'en :⎟ faut-il te le redire ?	6+6

SCÈNE XI

LE MARQUIS.
	Savez-vous qui je suis ?⎟

VALÈRE.
	Savez-vous qui je suis ? Je n'ai pas cet honneur.	6+6

LE MARQUIS, à part.
	Courage ; allons, Marquis,⎟ montre de la vigueur :	6+6
	Il craint.
Haut.
	Il craint. Je suis pourtant⎟ fort connu dans la ville ;	6+6
	Et, si vous l'ignorez,⎟ sachez que je faufile	6+6
1075	Avec ducs, archiducs,⎟ princes, seigneurs, Marquis,	6+6
	Et tout ce que la cour⎟ offre de plus exquis ;	6+6
	Petits-maîtres de robe⎟ à courte et longue queue.	6+6
	J'évente les beautés⎟ et leur plais d'une lieue.	6+6
	Je m'érige aux repas⎟ en maître architriclin ;	6+6
1080	Je suis le chansonnier⎟ et l'âme du festin.	6+6
	Je suis parfait en tout.⎟ Ma valeur est connue ;	6+6
	Je ne me bats jamais⎟ qu'aussitôt je ne tue :	6+6
	De cent jolis combats⎟ je me suis démêlé ;	6+6
	J'ai la botte trompeuse⎟ et le jeu très brouillé.	6+6
1085	Mes aïeux sont connus ;⎟ ma race est ancienne ;	6+6
	Mon trisaïeul était⎟ vice-bailli du Maine.	6+6
	J'ai le vol du chapon :⎟ ainsi, dès le berceau,	6+6
	Vous voyez que je suis⎟ gentilhomme manceau.	6+6

VALÈRE.
	On le voit à votre air.⎟

LE MARQUIS.
	On le voit à votre air. J'ai, sur certaine femme	6+6
1090	Jeté, sans y songer,⎟ quelque amoureuse flamme.	6+6
	J'ai trouvé la matière⎟ assez sèche de soi ;	6+6
	Mais la belle est tombée⎟ amoureuse de moi.	6+6
	Vous le croyez sans peine :⎟ on est fait d'un modèle,	6+6
	À prétendre hypothèque,⎟ à fort bon droit, sur elle ;	6+6
1095	Et vouloir faire obstacle⎟ à de telles amours,	6+6
	C'est prétendre arrêter⎟ un torrent dans son cours.	6+6

VALÈRE.
	Je ne crois pas,Monsieur,⎟ qu'on fût si téméraire.	6+6

LE MARQUIS.
	On m'assure pourtant⎟ que vous le voulez faire.	6+6

VALÈRE.
	Moi ?

LE MARQUIS.
	Moi ? Que, sans respecter⎟ ni rang, ni qualité,	6+6
1100	Vous nourrissez dans l'âme⎟ une velléité	6+6
	De me barrer son coeur.⎟

VALÈRE.
	De me barrer son coeur. C'est pure médisance ;	6+6
	Je sais ce qu'entre nous⎟ le sort mit de distance.	6+6

LE MARQUIS, bas.
	Il tremble.
Haut.
	Il tremble. Savez-vous,⎟ Monsieur du lansquenet,	6+6
	Que j'ai de quoi rabattre⎟ ici votre caquet ?	6+6

VALÈRE.
	Je le sais.

LE MARQUIS.
1105	Je le sais. Vous croyez,⎟ en votre humeur caustique,	6+6
	En agir avec moi⎟ comme avec l'as de pique.	6+6

VALÈRE.
	Moi, monsieur ?

LE MARQUIS, bas.
	Moi, monsieur ? Il me craint.⎟
Haut.
	Moi, monsieur ? Il me craint. Vous faites le plongeon,	6+6
	Petit noble à nasarde,⎟ enté sur sauvageon.	6+6
Valère enfonce son chapeau.
Bas.
	Je crois qu'il a du coeur.⎟
Haut.
	Je crois qu'il a du coeur. Je retiens ma colère :	6+6
	Mais…

VALÈRE, mettant la main sur son épée.
1110	Mais… Vous le voulez donc ?⎟ Il faut vous satisfaire.	6+6

LE MARQUIS.
	Bon ! Bon ! Je ris.

VALÈRE.
	Bon ! Bon ! Je ris. Vos ris⎟ ne sont point de mon goût,	6+6
	Et vos airs insolents⎟ ne plaisent point du tout.	6+6
	Vous êtes un faquin.⎟

LE MARQUIS.
	Vous êtes un faquin. Cela vous plaît à dire.	6+6

VALÈRE.
	Un fat, un malheureux.⎟

LE MARQUIS.
	Un fat, un malheureux. Monsieur, vous voulez rire.	6+6

VALÈRE, mettant l'épée à la main.
1115	Il faut voir sur-le-champ⎟ si les vice-baillis	6+6
	Sont si francs du collier⎟ que vous l'avez promis.	6+6

LE MARQUIS.
	Mais faut-il nous brouiller⎟ pour un sot point de gloire ?	6+6

VALÈRE.
	Oh ! Le vin est tiré,⎟ monsieur ; il le faut boire.	6+6

LE MARQUIS, criant.
	Ah ! Ah ! Je suis blessé.⎟

SCÈNE XII

HECTOR, acourant.
	Ah ! Ah ! Je suis blessé. Quels desseins emportés ? …	6+6

LE MARQUIS, mettant l'épée à la main.
	Ah ! C'est trop endurer.⎟

HECTOR, au Marquis.
1120	Ah ! C'est trop endurer. Ah ! Monsieur, arrêtez.	6+6

LE MARQUIS, à Hector.
	Laissez-moi donc.

HECTOR, au Marquis.
	Laissez-moi donc. Tout beau !⎟

VALÈRE, à Hector.
	Laissez-moi donc. Tout beau ! Cesse de le contraindre :	6+6
	Va, c'est un malheureux⎟ qui n'est pas bien à craindre.	6+6

HECTOR, au Marquis.
	Quel sujet ? …

LE MARQUIS, fièrement à Hector.
	Quel sujet ? … Votre maître⎟ a certains petits airs…	6+6
Valère s'approche du Marquis. Le Marquis effrayé, dit doucement.
	Et prend mal à propos⎟ les choses de travers.	6+6
1125	On vient civilement⎟ pour s'éclaircir d'un doute,	6+6
	Et monsieur prend la chèvre ;⎟ il met tout en déroute,	6+6
	Fait le petit mutin.⎟ Oh ! Cela n'est pas bien.	6+6

HECTOR, au Marquis.
	Mais encor quel sujet ?⎟

LE MARQUIS, à Hector.
	Mais encor quel sujet ? Quel sujet ? Moins que rien.	6+6
	L'amour de la Comtesse⎟ auprès de lui m'appelle…	6+6

HECTOR, au Marquis.
1130	Ah ! Diable, c'est avoir⎟ une vieille querelle.	6+6
	Quoi ! Vous osez, monsieur,⎟ d'un coeur ambitieux,	6+6
	Sur notre patrimoine⎟ ainsi jeter les yeux !	6+6
	Attaquer la Comtesse,⎟ et nous le dire encore !	6+6

LE MARQUIS, à Hector.
	Bon ! Je ne l'aime pas ;⎟ c'est elle qui m'adore.	6+6

VALÈRE, au Marquis.
1135	Oh ! Vous pouvez l'aimer⎟ autant qu'il vous plaira ;	6+6
	C'est un bien que jamais⎟ on ne vous enviera :	6+6
	Vous êtes en effet⎟ un amant digne d'elle :	6+6
	Je vous cède les droits⎟ que j'ai sur cette belle.	6+6

HECTOR.
	Oui, les droits sur le coeur ;⎟ mais sur la bourse,
	Oui, les droits sur le coeur ; mais sur la bourse, Non.	6+6

LE MARQUIS, à part, mettant son épée dans le fourreau.
1140	Je le savais bien, moi,⎟ que j'en aurais raison ;	6+6
	Et voilà comme il faut⎟ se tirer d'une affaire.	6+6

HECTOR, au Marquis.
	N'auriez-vous point besoin⎟ d'un peu d'eau vulnéraire ?	6+6

LE MARQUIS, à Valère.
	Je suis ravi de voir⎟ que vous ayez du coeur,	6+6
	Et que le tout se soit⎟ passé dans la douceur.	6+6
1145	Serviteur. Vous et moi,⎟ nous en valons deux autres.	6+6
	Je suis de vos amis.⎟

VALÈRE.
	Je suis de vos amis. Je ne suis pas des vôtres.	6+6

SCÈNE XIII

VALÈRE.
	Voilà donc ce Marquis,⎟ cet homme dangereux ?	6+6

HECTOR.
	Oui, monsieur, le voilà.⎟

VALÈRE.
	Oui, monsieur, le voilà. C'est un grand malheureux.	6+6
	Je crains que mes joueurs⎟ ne soient sortis du gîte ;	6+6
1150	Ils ont trop attendu ;⎟ j'y retourne au plus vite.	6+6
	J'ai dans le coeur, Hector,⎟ un bon pressentiment ;	6+6
	Et je dois aujourd'hui⎟ gagner, assurément.	6+6

HECTOR.
	Votre coeur est, Monsieur,⎟ toujours insatiable.	6+6
	Ces inspirations⎟ viennent souvent du diable ;	6+6
1155	Je vous en avertis,⎟ c'est un futé matois.	6+6

VALÈRE.
	Elles m'ont réussi⎟ déjà plus d'une fois.	6+6

HECTOR.
	Tant va la cruche à l'eau…⎟

VALÈRE.
	Tant va la cruche à l'eau… Paix ! Tu veux contredire :	6+6
	À mon âge, crois-tu⎟ m'apprendre à me conduire ?	6+6

HECTOR.
	Vous ne me parlez point,⎟ Monsieur, de votre amour.	6+6

VALÈRE.
	Non.

SCÈNE XIV

HECTOR, seul.
1160	Non. Il m'en parlera⎟ peut-être à son retour.	6+6

ACTE IV

SCÈNE I

NÉRINE.
	En vain vous m'opposez⎟ une indigne tendresse,	6+6
	Je n'ai vu de mes jours⎟ avoir tant de mollesse.	6+6
	Je ne puis sur ce point⎟ m'accorder avec vous.	6+6
	Valère n'est point fait⎟ pour être votre époux ;	6+6
1165	Il ressent pour le jeu⎟ des fureurs nonpareilles,	6+6
	Et cet homme perdra⎟ quelque jour ses oreilles.	6+6

ANGÉLIQUE.
	Le temps le guérira⎟ de cet aveuglement.	6+6

NÉRINE.
	Le temps augmente encore⎟ un tel attachement.	6+6

ANGÉLIQUE.
	Ne combats plus, Nérine,⎟ une ardeur qui m'enchante ;	6+6
1170	Tu prendrais pour l'éteindre⎟ une peine impuissante.	6+6
	Il est des noeuds formés⎟ sous des astres malins,	6+6
	Qu'on chérit malgré soi.⎟ Je cède à mes destins.	6+6
	La raison, les conseils⎟ ne peuvent m'en distraire,	6+6
	Je vois le bon parti ;⎟ mais je prends le contraire.	6+6

NÉRINE.
1175	Eh bien ! Madame, soit ;⎟ contentez votre ardeur,	6+6
	J'y consens. Acceptez⎟ pour époux un joueur,	6+6
	Qui, pour porter au jeu⎟ son tribut volontaire,	6+6
	Vous laissera manquer⎟ même du nécessaire,	6+6
	Toujours triste ou fougueux,⎟ pestant contre le jeu,	6+6
1180	Ou d'avoir perdu trop,⎟ ou bien gagné trop peu.	6+6
	Quel charme qu'un époux⎟ qui, flattant sa manie,	6+6
	Fait vingt mauvais marchés⎟ tous les jours de sa vie ;	6+6
	Prend pour argent comptant,⎟ d'un usurier fripon,	6+6
	Des singes, des pavés,⎟ un chantier, du charbon ;	6+6
1185	Qu'on voit à chaque instant⎟ prêt à faire querelle	6+6
	Aux bijoux de sa femme,⎟ ou bien à sa vaisselle,	6+6
	Qui va, revient, retourne,⎟ et s'use à voyager	6+6
	Chez l'usurier, bien plus⎟ qu'à donner à manger,	6+6
	Quand, après quelque temps,⎟ d'intérêts surchargée,	6+6
1190	Il la laisse où d'abord⎟ elle fut engagée,	6+6
	Et prend, pour remplacer⎟ ses meubles écartés,	6+6
	Des diamants du temple,⎟ et des plats argentés ;	6+6
	Tant que, dans sa fureur⎟ n'ayant plus rien à vendre,	6+6
	Empruntant tous les jours,⎟ et ne pouvant plus rendre,	6+6
1195	Sa femme signe enfin,⎟ et voit en moins d'un an,	6+6
	Ses terres en décret,⎟ et son lit à l'encan !	6+6

ANGÉLIQUE.
	Je ne veux point ici⎟ m'affliger par avance ;	6+6
	L'évènement souvent⎟ confond la prévoyance.	6+6
	Il quittera le jeu.⎟

NÉRINE.
	Il quittera le jeu. Quiconque aime, aimera ;	6+6
1200	Et quiconque a joué,⎟ toujours joue, et jouera.	6+6
	Quelque docteur l'a dit,⎟ ce n'est point menterie.	6+6
	Et, si vous le voulez,⎟ contre vous je parie	6+6
	Tout ce que je possède,⎟ et mes gages d'un an,	6+6
	Qu'à l'heure que je parle⎟ il est dans un brelan.	6+6

SCÈNE II

NÉRINE.
1205	Nous le saurons d'hector⎟ qu'ici je vois paraître.	6+6

ANGÉLIQUE, à Hector.
	Te voilà bien soufflant.⎟ En quels lieux est ton maître ?	6+6

HECTOR, embarrassé.
	En quelque lieu qu'il soit,⎟ je réponds de son coeur ;	6+6
	Il sent toujours pour vous⎟ la plus sincère ardeur.	6+6

NÉRINE.
	Ce n'est point là, maraud,⎟ ce que l'on te demande.	6+6

HECTOR, voulant s'échapper.
1210	Maraud ! Je vois qu'ici⎟ je suis de contrebande.	6+6

NÉRINE.
	Non, demeure un moment.⎟

HECTOR.
	Non, demeure un moment. Le temps me presse. Adieu.	6+6

NÉRINE.
	Tout doux ! N'est-il pas vrai⎟ qu'il est en quelque lieu	6+6
	Où, courant le hasard…⎟

HECTOR.
	Où, courant le hasard… Parlez mieux, je vous prie.	6+6
	Mon maître n'a hanté⎟ de tels lieux de sa vie.	6+6

ANGÉLIQUE, à Hector.
1215	Tiens, voilà dix louis.⎟ Ne me mens pas ; dis-moi	6+6
	S'il n'est pas vrai qu'il joue⎟ à présent.

HECTOR.
	S'il n'est pas vrai qu'il joue à présent. Oh ! Ma foi,	6+6
	Il est bien revenu⎟ de cette folle rage,	6+6
	Et n'aura pas de goût⎟ pour le jeu davantage.	6+6

ANGÉLIQUE.
	Avec tes faux soupçons,⎟ Nérine, eh bien ! Tu vois.	6+6

HECTOR.
1220	Il s'en donne aujourd'hui⎟ pour la dernière fois.	6+6

ANGÉLIQUE.
	Il jouerait donc ?

HECTOR.
	Il jouerait donc ? Il joue,⎟ à dire vrai, Madame ;	6+6
	Mais ce n'est proprement⎟ que par noblesse d'âme :	6+6
	On voit qu'il se défait⎟ de son argent exprès,	6+6
	Pour n'être plus touché⎟ que de vos seuls attraits.	6+6

NÉRINE, à Angélique.
	Eh bien ! Ai-je raison ?⎟

HECTOR.
1225	Eh bien ! Ai-je raison ? Son mauvais sort, vous dis-je,	6+6
	Mieux que tous vos discours⎟ aujourd'hui le corrige.	6+6

ANGÉLIQUE.
	Quoi ! …

HECTOR.
	Quoi ! … N'admirez-vous pas⎟ cette fidélité ?	6+6
	Perdre exprès son argent⎟ pour n'être plus tenté !	6+6
	Il sait que l'homme est faible,⎟ il se met en défense.	6+6
1230	Pour moi, je suis charmé⎟ de ce trait de prudence.	6+6

ANGÉLIQUE.
	Quoi ! Ton maître jouerait⎟ au mépris d'un serment ?	6+6

HECTOR.
	C'est la dernière fois,⎟ Madame, absolument.	6+6
	On le peut voir encor⎟ sur le champ de bataille ;	6+6
	Il frappe à droite, à gauche,⎟ et d'estoc et de taille,	6+6
1235	Il se défend, Madame,⎟ encor comme un lion.	6+6
	Je l'ai vu, dans l'effort⎟ de la convulsion,	6+6
	Maudissant les hasards⎟ d'un combat trop funeste :	6+6
	De sa bourse expirante⎟ il ramassait le reste ;	6+6
	Et paraissant encor⎟ plus grand dans son malheur,	6+6
1240	Il vendait cher son sang⎟ et sa vie au vainqueur.	6+6

NÉRINE.
	Pourquoi l'as-tu quitté⎟ dans cette décadence ?	6+6

HECTOR.
	Comme un aide-de-camp,⎟ je viens en diligence	6+6
	Appeler du secours :⎟ il faut faire approcher	6+6
	Notre corps de réserve,⎟ et je m'en vais chercher	6+6
1245	Deux cents louis qu'il a⎟ laissés dans sa cassette.	6+6

NÉRINE.
	Eh bien ! Madame, eh bien !⎟ êtes-vous satisfaite ?	6+6

HECTOR.
	Les partis sont aux mains ;⎟ à deux pas on se bat,	6+6
	Et les moments sont chers⎟ en ce jour de combat.	6+6
	Nous allons nous servir⎟ de nos armes dernières,	6+6
1250	Et des troupes qu'au jeu⎟ l'on nomme auxiliaires.	6+6

SCÈNE III

NÉRINE.
	Vous l'entendez, Madame !⎟ Après cette action,	6+6
	Pour Valère armez-vous⎟ de belle passion ;	6+6
	Cédez à votre étoile ;⎟ épousez-le. J'enrage	6+6
	Lorsque j'entends tenir⎟ ce discours à votre âge.	6+6
	Mais Dorante qui vient…⎟

ANGÉLIQUE.
1255	Mais Dorante qui vient… Ah ! Sortons de ces lieux.	6+6
	Je ne puis me résoudre⎟ à paroître à ses yeux.	6+6

SCÈNE IV

DORANTE, à Angélique qui sort.
	Hé quoi ! Vous me fuyez ?⎟ Daignez au moins
	Hé quoi ! Vous me fuyez ? Daignez au moinsM'apprendre…	6+6

SCÈNE V

DORANTE.
	Et toi, Nérine, aussi⎟ tu ne veux pas m'entendre ?	6+6
	Veux-tu de ta maîtresse⎟ imiter la rigueur ?	6+6

NÉRINE.
1260	Non, monsieur ; je vous sers⎟ toujours avec vigueur.	6+6
	Laissez-moi faire.

SCÈNE VI

DORANTE, seul.
	Laissez-moi faire. Ô ciel !⎟ Ce trait me désespère.	6+6
	Je veux approfondir⎟ un si cruel mystère.	6+6
Il va pour sortir.

SCÈNE VII

LA COMTESSE.
	Où courez-vous, Dorante ?⎟

DORANTE, à part.
	Où courez-vous, Dorante ? Ô contre-temps fâcheux !	6+6
	Cherchons à l'éviter.⎟

LA COMTESSE.
	Cherchons à l'éviter. Demeurez en ces lieux,	6+6
1265	J'ai deux mots à vous dire ;⎟ et votre âme contente…	6+6
	Mais non, retirez-vous ;⎟ un homme m'épouvante.	6+6
	L'ombre d'un tête-à-tête,⎟ et dedans et dehors,	6+6
	Me fait, même en été,⎟ frissonner tout le corps.	6+6

DORANTE, allant pour sortir.
	J'obéis…

LA COMTESSE.
	J'obéis… Revenez.⎟ Quelque espoir qui vous guide,	6+6
1270	Le respect à l'amour⎟ saura servir de bride,	6+6
	N'est-il pas vrai ?

DORANTE.
	N'est-il pas vrai ? Madame…⎟

LA COMTESSE.
	N'est-il pas vrai ? Madame… En ce temps, les amants	6+6
	Près du sexe d'abord⎟ sont si gesticulants…	6+6
	Quoiqu'on soit vertueuse,⎟ il faut telle paraître ;	6+6
	Et cela quelquefois⎟ coûte bien plus qu'à l'être.	6+6

DORANTE.
	Madame…

LA COMTESSE.
1275	Madame… En vérité,⎟ j'ai le coeur douloureux	6+6
	Qu'Angélique si mal⎟ reconnaisse vos feux :	6+6
	Et si je n'avais pas⎟ une vertu sévère,	6+6
	Qui me fait renfermer⎟ dans un veuvage austère,	6+6
	Je pourrais bien… mais non,⎟ je ne puis vous ouïr ;	6+6
1280	Si vous continuez,⎟ je vais m'évanouir.	6+6

DORANTE.
	Madame…

LA COMTESSE.
	Madame… Vos discours,⎟ votre air soumis et tendre	6+6
	Ne feront que m'aigrir,⎟ au lieu de me surprendre.	6+6
	Bannissons la tendresse ;⎟ il faut la supprimer.	6+6
	Je ne puis, en un mot,⎟ me résoudre d'aimer.	6+6

DORANTE.
1285	Madame, en vérité,⎟ je n'en ai nulle envie,	6+6
	Et veux bien avec vous⎟ n'en parler de ma vie.	6+6

LA COMTESSE.
	Voilà, je vous l'avoue,⎟ un fort sot compliment.	6+6
	Me trouvez-vous, Monsieur,⎟ femme à manquer d'amant ?	6+6
	J'ai mille adorateurs⎟ qui briguent ma conquête ;	6+6
1290	Et leur encens trop fort⎟ me fait mal à la tête.	6+6
	Ah ! Vous le prenez là⎟ sur un fort joli ton,	6+6
	En vérité !

DORANTE.
	En vérité ! Madame…⎟

LA COMTESSE.
	En vérité ! Madame… Et je vous trouve bon !	6+6

DORANTE.
	Le respect…

LA COMTESSE.
	Le respect… Le respect⎟ est là mal en sa place ;	6+6
	Et l'on ne me dit point⎟ pareille chose en face.	6+6
1295	Si tous mes soupirants⎟ pouvaient me négliger,	6+6
	Je ne vous prendrais pas⎟ pour m'en dédommager.	6+6
	Du respect ! Du respect !⎟ Ah ! Le plaisant visage !	6+6
	J'ai cru que vous pouviez⎟ l'inspirer à votre âge.	6+6
	Mais Monsieur le Marquis,⎟ qui paraît en ces lieux,	6+6
1300	Ne sera pas peut-être⎟ aussi respectueux.	6+6

SCÈNE VIII

LA COMTESSE, seule.
	Je suis au désespoir :⎟ je n'ai vu de ma vie	6+6
	Tant de relâchement⎟ dans la galanterie.	6+6
	Le Marquis vient ; il faut⎟ m'assurer un parti ;	6+6
	Et je n'en prétends pas⎟ avoir le démenti.	6+6

SCÈNE IX

LE MARQUIS.
1305	À mon bonheur enfin,⎟ Madame, tout conspire :	6+6
	Vous êtes tout à moi.⎟

LA COMTESSE.
	Vous êtes tout à moi. Que voulez-vous donc dire,	6+6
	Marquis ?

LE MARQUIS.
	Marquis ? Que mon amour⎟ n'a plus de concurrent ;	6+6
	Que je suis et serai⎟ votre seul conquérant ;	6+6
	Que si vous ne battez⎟ au plus tôt la chamade,	6+6
1310	Il faudra vous résoudre⎟ à souffrir l'escalade.	6+6

LA COMTESSE.
	Moi ! Que l'on m'escalade ?⎟

LE MARQUIS.
	Moi ! Que l'on m'escalade ? Entre nous, sans façon,	6+6
	À Valère de près⎟ j'ai serré le bouton :	6+6
	Il m'a cédé les droits⎟ qu'il avait sur votre âme.	6+6

LA COMTESSE.
	Hé ! Le petit poltron !⎟

LE MARQUIS.
	Hé ! Le petit poltron ! Oh ! Palsambleu, Madame,	6+6
1315	Il serait un Achille,⎟ un Pompée, un César,	6+6
	Je vous le conduirais⎟ poings liés à mon char.	6+6
	Il ne faut point avoir⎟ de mollesse en sa vie.	6+6
	Je suis vert.

LA COMTESSE.
	Je suis vert. Dans le fond,⎟ j'en ai l'âme ravie.	6+6
	Vous ne connaissez pas,⎟ Marquis, tout votre mal ;	6+6
1320	Vous avez à combattre⎟ encor plus d'un rival.	6+6

LE MARQUIS.
	Le don de votre coeur⎟ couvre un peu trop de gloire	6+6
	Pour n'être que le prix⎟ d'une seule victoire.	6+6
	Vous n'avez qu'à nommer…⎟

LA COMTESSE.
	Vous n'avez qu'à nommer… Non, non, je ne veux pas	6+6
	Vous exposer sans cesse⎟ à de nouveaux combats.	6+6

LE MARQUIS.
1325	Est-ce ce financier⎟ de noblesse mineure,	6+6
	Qui s'est fait depuis peu⎟ gentilhomme en une heure ;	6+6
	Qui bâtit un palais⎟ sur lequel on a mis	6+6
	Dans un grand marbre noir,⎟ en or, l'hôtel Damis ;	6+6
	Lui qui voyait jadis⎟ imprimé sur sa porte,	6+6
1330	Bureau du pied-fourché,⎟ chair salée et chair morte ;	6+6
	Qui, dans mille portraits,⎟ expose ses aïeux,	6+6
	Son père, son grand-père,⎟ et les place en tous lieux,	6+6
	En sa maison de ville,⎟ en celle de campagne,	6+6
	Les fait venir tout droit⎟ des comtes de Champagne,	6+6
1335	Et de ceux de Poitou,⎟ d'autant que, pour certain,	6+6
	L'un s'appelait Champagne⎟ et l'autre Poitevin ?	6+6

LA COMTESSE.
	À vos transports jaloux⎟ un autre se dérobe.	6+6

LE MARQUIS.
	C'est donc ce sénateur,⎟ cet Adonis de robe,	6+6
	Ce docteur en soupers,⎟ qui se tait au palais,	6+6
1340	Et sait sur des ragoûts⎟ prononcer des arrêts ;	6+6
	Qui juge sans appel⎟ sur un vin de Champagne,	6+6
	S'il est de Reims, du clos,⎟ ou bien de la montagne ;	6+6
	Qui, de livres de droit⎟ toujours débarrassé,	6+6
	Porte cuisine en poche,⎟ et poivre concassé.	6+6

LA COMTESSE.
1345	Non, Marquis, c'est Dorante ;⎟ et j'ai su m'en défaire.	6+6

LE MARQUIS.
	Quoi ! Dorante ! Cet homme⎟ à maintien débonnaire,	6+6
	Ce croquant, qu'à l'instant⎟ je viens de voir sortir ?	6+6

LA COMTESSE.
	C'est lui-même.

LE MARQUIS.
	C'est lui-même. Eh ! Parbleu,⎟ vous deviez m'avertir ;	6+6
	Nous nous serions parlé⎟ sans sortir de la salle.	6+6
1350	Je ne suis pas méchant :⎟ mais, sans bruit, sans scandale,	6+6
	Sans lui donner le temps⎟ seulement de crier,	6+6
	Pour lui votre fenêtre⎟ eût servi d'escalier.	6+6

LA COMTESSE.
	Vous êtes turbulent.⎟ Si vous étiez plus sage,	6+6
	On pourrait…

LE MARQUIS.
	On pourrait… La sagesse⎟ est tout mon apanage.	6+6

LA COMTESSE.
1355	Quoiqu'un engagement⎟ m'ait toujours fait horreur,	6+6
	On aurait avec vous⎟ quelque affaire de coeur.	6+6

LE MARQUIS.
	Ah ! Parbleu, volontiers.⎟ Vous me chatouillez l'âme.	6+6
	Par affaire de coeur,⎟ qu'entendez-vous, Madame ?	6+6

LA COMTESSE.
	Ce que vous entendez⎟ vous-même assurément.	6+6

LE MARQUIS.
1360	Est-ce pour mariage,⎟ ou bien pour autrement ?	6+6

LA COMTESSE.
	Quoi ! Vous prétendriez,⎟ si j'avais la foiblesse…	6+6

LE MARQUIS.
	Ah ! Ma foi ! L'on n'a plus⎟ tant de délicatesse ;	6+6
	On s'aime pour s'aimer⎟ tout autant que l'on peut	6+6
	Le mariage suit,⎟ et vient après, s'il veut.	6+6

LA COMTESSE.
1365	Je prétends que l'hymen⎟ soit le but de l'affaire,	6+6
	Et ne donne mon coeur⎟ que pardevant notaire.	6+6
	Je veux un bon contrat⎟ sur de bon parchemin,	6+6
	Et non pas un hymen⎟ qu'on rompt le lendemain.	6+6

LE MARQUIS.
	Vous aimez chastement,⎟ je vous en félicite,	6+6
1370	Et je me donne à vous⎟ avec tout mon mérite,	6+6
	Quoique cent fois le jour⎟ on me mette à la main	6+6
	Des partis à fixer⎟ un empereur romain.	6+6

LA COMTESSE.
	Je crois que nos deux coeurs⎟ seront toujours fidèles.	6+6

LE MARQUIS.
	Oh ! Parbleu, nous vivrons⎟ comme deux tourterelles.	6+6
1375	Pour vous porter, Madame,⎟ un coeur tout dégagé,	6+6
	Je vais dans ce moment⎟ signifier congé	6+6
	À des beautés sans nombre⎟ à qui mon coeur renonce ;	6+6
	Et vous aurez dans peu⎟ ma dernière réponse.	6+6

LA COMTESSE.
	Adieu. Fasse le ciel,⎟ Marquis, que dans ce jour	6+6
1380	Un hymen soit le sceau⎟ d'un si parfait amour !	6+6

SCÈNE X

LE MARQUIS, seul.
	Eh bien ! Marquis, tu vois,⎟ tout rit à ton mérite ;	6+6
	Le rang, le coeur, le bien,⎟ tout pour toi sollicite :	6+6
	Tu dois être content⎟ de toi par tout pays :	6+6
	On le serait à moins.⎟ Allons, saute, Marquis.	6+6
1385	Quel bonheur est le tien !⎟ Le ciel, à ta naissance,	6+6
	Répandit sur tes jours⎟ sa plus douce influence ;	6+6
	Tu fus, je crois, pétri⎟ par les mains de l'amour.	6+6
	N'es-tu pas fait à peindre ?⎟ Est-il homme à la cour	6+6
	Qui de la tête aux pieds⎟ porte meilleure mine,	6+6
1390	Une jambe mieux faite,⎟ une taille plus fine ?	6+6
	Et pour l'esprit, parbleu,⎟ tu l'as des plus exquis :	6+6
	Que te manque-t-il donc ?⎟ Allons, saute, Marquis.	6+6
	La nature, le ciel,⎟ l'amour et la fortune	6+6
	De tes prospérités⎟ font leur cause commune ;	6+6
1395	Tu soutiens ta valeur⎟ avec mille hauts faits ;	6+6
	Tu chantes, danses, ris,⎟ mieux qu'on ne fit jamais	6+6
	Les yeux à fleur de tête,⎟ et les dents assez belles.	6+6
	Jamais en ton chemin⎟ trouvas-tu de cruelles ?	6+6
	Près du sexe tu vins,⎟ tu vis, et tu vainquis ;	6+6
1400	Que ton sort est heureux !⎟ Allons, saute, Marquis.	6+6

SCÈNE XI

HECTOR.
	Attendez un moment.⎟ Quelle ardeur vous transporte ?	6+6
	Hé quoi ! Monsieur, tout seul⎟ vous sautez de la sorte !	6+6

LE MARQUIS.
	C'est un pas de ballet⎟ que je veux repasser.	6+6

HECTOR.
	Mon maître, qui me suit,⎟ vous le fera danser,	6+6
	Monsieur, si vous voulez.⎟

LE MARQUIS.
1405	Monsieur, si vous voulez. Que dis-tu là ? Ton maître !	6+6

HECTOR.
	Oui, monsieur, à l'instant⎟ vous l'allez voir paraître.	6+6

LE MARQUIS.
	En ces lieux je ne puis⎟ plus longtemps m'arrêter ;	6+6
	Pour cause, nous devons⎟ tous deux nous éviter.	6+6
	Quand ma verve me prend,⎟ je ne suis plus traitable ;	6+6
1410	Il est brutal, je suis⎟ emporté comme un diable ;	6+6
	Il manque de respect⎟ pour les vice-baillis,	6+6
	Et nous aurions du bruit.⎟ Allons, saute, Marquis.	6+6

SCÈNE XII

HECTOR, seul.
	Allons, saute, Marquis.⎟ Un tour de cette sorte	6+6
	Est volé d'un gascon,⎟ ou le diable m'emporte :	6+6
1415	Il vient de la Garonne.⎟ Oh ! Parbleu, dans ce temps	6+6
	Je n'aurais jamais cru⎟ les Marquis si prudents.	6+6
	Je ris : et cependant⎟ mon maître à l'agonie	6+6
	Cède en un lansquenet⎟ à son mauvais génie.	6+6

SCÈNE XIII

HECTOR.
	Le voici. Ses malheurs⎟ sur son front sont écrits :	6+6
1420	Il a tout le visage⎟ et l'air d'un premier pris.	6+6

VALÈRE.
	Non, l'enfer en courroux⎟ et toutes ses furies	6+6
	N'ont jamais exercé⎟ de telles barbaries.	6+6
	Je te loue, ô destin,⎟ de tes coups redoublés ;	6+6
	Je n'ai plus rien à perdre,⎟ et tes voeux sont comblés.	6+6
1425	Pour assouvir encor⎟ la fureur qui t'anime,	6+6
	Tu ne peux rien sur moi,⎟ cherche une autre victime.	6+6

HECTOR, à part.
	Il est sec.

VALÈRE.
	Il est sec. De serpents⎟ mon coeur est dévoré ;	6+6
	Tout semble en un moment⎟ contre moi conjuré.	6+6
Il prend Hector à la cravate.
	Parle. As-tu jamais vu⎟ le sort et son caprice	6+6
1430	Accabler un mortel⎟ avec plus d'injustice,	6+6
	Le mieux assassiner ?⎟ Perdre tous les partis,	6+6
	Vingt fois le coupe-gorge,⎟ et toujours premier pris !	6+6
	Réponds-moi donc, bourreau.⎟

HECTOR.
	Réponds-moi donc, bourreau. Mais, ce n'est pas ma faute.	6+6

VALÈRE.
	As-tu vu de tes jours⎟ trahison aussi haute ?	6+6
1435	Sort cruel, ta malice⎟ a bien su triompher ;	6+6
	Et tu ne me flattais⎟ que pour mieux m'étouffer.	6+6
	Dans l'état où je suis,⎟ je puis tout entreprendre ;	6+6
	Confus, désespéré,⎟ je suis prêt à me pendre.	6+6

HECTOR.
	Heureusement pour vous,⎟ vous n'avez pas un sou	6+6
1440	Dont vous puissiez, Monsieur,⎟ acheter un licou.	6+6
	Voudriez-vous souper ?⎟

VALÈRE.
	Voudriez-vous souper ? Que la foudre t'écrase.	6+6
	Ah ! Charmante Angélique,⎟ en l'ardeur qui m'embrase,	6+6
	À vos seules bontés⎟ je veux avoir recours !	6+6
	Je n'aimerai que vous ;⎟ m'aimeriez-vous toujours ?	6+6
1445	Mon coeur, dans les transports⎟ de sa fureur extrême,	6+6
	N'est point si malheureux,⎟ puisqu'enfin il vous aime.	6+6

HECTOR, à part.
	Notre bourse est à fond ;⎟ et, par un sort nouveau,	6+6
	Notre amour recommence⎟ à revenir sur l'eau.	6+6

VALÈRE.
	Calmons le désespoir⎟ où la fureur me livre.	6+6
	Approche ce fauteuil.⎟
Hector approche un fauteuil, Valère, assis.
1450	Approche ce fauteuil. Va me chercher un livre.	6+6

HECTOR.
	Quel livre voulez-vous⎟ lire en votre chagrin ?	6+6

VALÈRE.
	Celui qui te viendra⎟ le premier sous la main ;	6+6
	Il m'importe peu ; prends⎟ dans ma bibliothèque.	6+6

HECTOR sort, et rentre tenant un livre.
	Voilà Sénèque.

VALÈRE.
	Voilà Sénèque. Lis.⎟

HECTOR.
	Voilà Sénèque. Lis. Que je lise Sénèque ?	6+6

VALÈRE.
	Oui. Ne sais-tu pas lire ?⎟

HECTOR.
1455	Oui. Ne sais-tu pas lire ? Eh ! Vous n'y pensez pas ;	6+6
	Je n'ai lu de mes jours⎟ que dans des almanachs.	6+6

VALÈRE.
	Ouvre, et lis au hasard.⎟

HECTOR.
	Ouvre, et lis au hasard. Je vais le mettre en pièces.	6+6

VALÈRE.
	Lis donc.
Hector lit.
	Lis donc. "Chapitre six.⎟ Du mépris des richesses.	6+6
	La fortune offre aux yeux⎟ des brillants mensongers ;	6+6
1460	Tous les biens d'ici-bas⎟ sont faux et passagers ;	6+6
	Leur possession trouble,⎟ et leur perte est légère :	6+6
	Le sage gagne assez⎟ quand il peut s'en défaire."	6+6
	Lorsque Sénèque fit⎟ ce chapitre éloquent,	6+6
	Il avait, comme vous,⎟ perdu tout son argent.	6+6

VALÈRE, se levant.
1465	Vingt fois le premier pris !⎟ Dans mon coeur il s'élève	6+6
Il s'assied.
	Des mouvements de rage.⎟ Allons, poursuis, achève.	6+6

HECTOR.
	"L'or est comme une femme ;⎟ on n'y saurait toucher,	6+6
	Que le coeur, par amour,⎟ ne s'y laisse attacher.	6+6
	L'un et l'autre en ce temps,⎟ sitôt qu'on les manie,	6+6
1470	Sont deux grands rémoras⎟ pour la philosophie. "	6+6
	N'ayant plus de maîtresse,⎟ et n'ayant pas un sou,	6+6
	Nous philosopherons⎟ maintenant tout le soûl.	6+6

VALÈRE.
	De mon sort désormais⎟ vous serez seule arbitre,	6+6
	Adorable Angélique…⎟ achève ton chapitre.	6+6

HECTOR.
	"Que faut-il ? … "

VALÈRE.
1475	"Que faut-il ? … " Je bénis⎟ le sort et ses revers,	6+6
	Puisqu'un heureux malheur⎟ me rengage en vos fers.	6+6
	Finis donc.

HECTOR.
	Finis donc. "Que faut-il⎟ à la nature humaine ?	6+6
	Moins on a de richesse,⎟ et moins on a de peine.	6+6
	C'est posséder les biens⎟ que savoir s'en passer."	6+6
1480	Que ce mot est bien dit !⎟ Et que c'est bien penser !	6+6
	Ce Sénèque, Monsieur,⎟ est un excellent homme.	6+6
	Était-il de Paris ?⎟

VALÈRE.
	Était-il de Paris ? Non, il était de Rome.	6+6
	Dix fois à carte triple⎟ être pris le premier !	6+6

HECTOR.
	Ah ! Monsieur, nous mourrons⎟ un jour sur un fumier.	6+6

VALÈRE.
1485	Il faut que de mes maux⎟ enfin je me délivre :	6+6
	J'ai cent moyens tout prêts⎟ pour m'empêcher de vivre,	6+6
	La rivière, le feu,⎟ le poison, et le fer.	6+6

HECTOR.
	Si vous vouliez, Monsieur,⎟ chanter un petit air ;	6+6
	Votre maître à chanter⎟ est ici : la musique	6+6
1490	Peut-être calmerait⎟ cette humeur frénétique.	6+6

VALÈRE.
	Que je chante !

HECTOR.
	Que je chante ! Monsieur…⎟

VALÈRE.
	Que je chante ! Monsieur… Que je chante, bourreau !	6+6
	Je veux me poignarder ;⎟ la vie est un fardeau	6+6
	Qui pour moi désormais⎟ devient insupportable.	6+6

HECTOR.
	Vous la trouviez pourtant⎟ tantôt bien agréable.	6+6
1495	Qu'un joueur est heureux !⎟ Sa poche est un trésor ;	6+6
	Sous ses heureuses mains⎟ le cuivre devient or,	6+6
	Disiez-vous.

VALÈRE.
	Disiez-vous. Ah ! Je sens⎟ redoubler ma colère.	6+6

HECTOR.
	Monsieur, contraignez-vous,⎟ j'aperçois votre père.	6+6

SCÈNE XIV

GÉRONTE.
	Pour quel sujet, mon fils,⎟ criez-vous donc si fort ?	6+6
À Hector.
1500	Est-ce toi, malheureux,⎟ qui causes ce transport ?	6+6

VALÈRE.
	Non pas, Monsieur.

HECTOR, à Géronte.
	Non pas, Monsieur. Ce sont⎟ des vapeurs de morale	6+6
	Qui nous vont à la tête,⎟ et que Sénèque exhale.	6+6

GÉRONTE.
	Qu'est-ce à dire Sénèque ?⎟

HECTOR.
	Qu'est-ce à dire Sénèque ? Oui, Monsieur : maintenant	6+6
	Que nous ne jouons plus,⎟ notre unique ascendant	6+6
1505	C'est la philosophie,⎟ et voilà notre livre ;	6+6
	C'est Sénèque.

GÉRONTE.
	C'est Sénèque. Tant mieux :⎟ il apprend à bien vivre.	6+6
	Son livre est admirable⎟ et plein d'instructions,	6+6
	Et rend l'homme brutal⎟ maître des passions.	6+6

HECTOR.
	Ah ! Si vous aviez lu⎟ son traité des richesses,	6+6
1510	Et le mépris qu'on doit⎟ faire de ses maîtresses ;	6+6
	Comme la femme ici⎟ n'est qu'un vrai rémora,	6+6
	Et que, lorsqu'on y touche…⎟ on en demeure là…	6+6
	Qu'on gagne quand on perd…⎟ que l'amour dans nos âmes…	6+6
	Ah ! Que ce livre-là⎟ connaissoit bien les femmes !	6+6

GÉRONTE.
1515	Hector en peu de temps⎟ est devenu docteur.	6+6

HECTOR.
	Oui, Monsieur, je saurai⎟ tout Sénèque par coeur.	6+6

GÉRONTE, à Valère.
	Je vous cherche en ces lieux⎟ avec impatience,	6+6
	Pour vous dire, mon fils,⎟ que votre hymen s'avance.	6+6
	Je quitte le notaire,⎟ et j'ai vu les parents,	6+6
1520	Qui, d'une et d'autre part,⎟ me paraissent contents.	6+6
	Vous avez vu, je crois,⎟ Angélique ? Et j'espère	6+6
	Que son consentement…⎟

VALÈRE.
	Que son consentement… Non, pas encor, mon père.	6+6
	Certaine affaire m'a…⎟

GÉRONTE.
	Certaine affaire m'a… Vraiment, pour un amant,	6+6
	Vous faites voir, mon fils,⎟ bien peu d'empressement.	6+6
1525	Courez-y : dites-lui⎟ que ma joie est extrême ;	6+6
	Que, charmé de ce noeud,⎟ dans peu j'irai moi-même	6+6
	Lui faire compliment,⎟ et l'embrasser…

HECTOR, à Géronte.
	Lui faire compliment, et l'embrasser… Tout doux !	6+6
	Monsieur fera cela⎟ tout aussi bien que vous.	6+6

VALÈRE, à Géronte.
	Pénétré des bontés⎟ de celui qui m'envoie,	6+6
1530	Je vais de cet emploi⎟ m'acquitter avec joie.	6+6

SCÈNE XV

HECTOR.
	Il vous plaira toujours⎟ d'être mémoratif	6+6
	D'un papier que tantôt,⎟ d'un air rébarbatif,	6+6
	Et même avec scandale…⎟

GÉRONTE.
	Et même avec scandale… Oui-dà ! Laisse-moi faire.	6+6
	Le mariage fait,⎟ nous verrons cette affaire.	6+6

HECTOR.
1535	J'irai donc, sur ce pied,⎟ vous visiter demain.	6+6

SCÈNE XVI

GÉRONTE, seul.
	Graces au ciel, mon fils⎟ est dans le bon chemin :	6+6
	Par mes soins paternels⎟ il surmonte la pente	6+6
	Où l'entraînait du jeu⎟ la passion ardente.	6+6
	Ah ! Qu'un père est heureux,⎟ qui voit en un moment	6+6
1540	Un cher fils revenir⎟ de son égarement !	6+6

ACTE V

SCÈNE I

DORANTE.
	Hé ! Madame, cessez⎟ d'éviter ma présence.	6+6
	Je ne viens point, armé⎟ contre votre inconstance,	6+6
	Faire éclater ici⎟ mes sentiments jaloux,	6+6
	Ni par des mots piquants⎟ exhaler mon courroux.	6+6
1545	Plus que vous ne pensez,⎟ mon coeur vous justifie.	6+6
	Votre légèreté⎟ veut que je vous oublie :	6+6
	Mais loin de condamner⎟ votre coeur inconstant,	6+6
	Je suis assez vengé⎟ si j'en puis faire autant.	6+6

ANGÉLIQUE.
	Que votre emportement⎟ en reproches éclate ;	6+6
1550	Je mérite les noms⎟ de volage, d'ingrate.	6+6
	Mais enfin de l'amour⎟ l'impérieuse loi	6+6
	À l'hymen que je crains⎟ m'entraîne malgré moi :	6+6
	J'en prévois les dangers ;⎟ mais un sort tyrannique…	6+6

DORANTE.
	Votre coeur est hardi,⎟ généreux, héroïque :	6+6
1555	Vous voyez devant vous⎟ un abîme s'ouvrir,	6+6
	Et vous ne laissez pas,⎟ Madame, d'y courir.	6+6

NÉRINE.
	Quand j'en devrais mourir,⎟ je ne puis plus me taire.	6+6
	Je vous empêcherai⎟ de terminer l'affaire :	6+6
	Ou si dans cet amour⎟ votre coeur engagé	6+6
1560	Persiste en ses desseins,⎟ donnez-moi mon congé.	6+6
	Je suis fille d'honneur ;⎟ je ne veux point qu'on dise	6+6
	Que vous ayez sous moi⎟ fait pareille sottise.	6+6
	Valère est un indigne ;⎟ et, malgré son serment,	6+6
	Vous voyez tous les jours⎟ qu'il joue impunément.	6+6

ANGÉLIQUE.
1565	En faveur de mon faible⎟ il faut lui faire grâce :	6+6
	De la fureur du jeu⎟ veux-tu qu'il se défasse,	6+6
	Hélas ! Quand je ne puis⎟ me défaire aujourd'hui	6+6
	Du lâche attachement⎟ que mon coeur a pour lui ?	6+6

DORANTE.
	Ces feux sont trop charmants⎟ pour vouloir les éteindre.	6+6
1570	Je ne suis point, Madame,⎟ ici pour vous contraindre.	6+6
	Mon neveu vous épouse ;⎟ et je viens seulement	6+6
	Donner à votre hymen⎟ un plein consentement.	6+6

SCÈNE II

NÉRINE.
	Madame La Ressource⎟ ici ! Qu'y viens-tu faire ?	6+6

Madame LA RESSOURCE.
	Je cherche un cavalier⎟ pour finir une affaire…	6+6
1575	On tâche, autant qu'on peut,⎟ dans son petit trafic,	6+6
	À gagner ses dépens⎟ en servant le public.	6+6

ANGÉLIQUE.
	Cette Nérine-là⎟ connaît toute la France.	6+6

NÉRINE.
	Pour vivre, il faut avoir⎟ plus d'une connoissance.	6+6
	C'est une illustre au moins,⎟ et qui sait en secret	6+6
1580	Couler adroitement⎟ un amoureux poulet :	6+6
	Habile en tous métiers,⎟ intrigante parfaite ;	6+6
	Qui prête, vend, revend,⎟ brocante, troque, achète,	6+6
	Met à perfection⎟ un hymen ébauché,	6+6
	Vend son argent bien cher,⎟ marie à bon marché.	6+6

Madame LA RESSOURCE.
1585	Votre bonté pour moi⎟ toujours se renouvelle ;	6+6
	Vous avez si bon coeur…⎟

NÉRINE.
	Vous avez si bon coeur… Il fait bon avec elle,	6+6
	Je vous en avertis.⎟ En bijoux et brillants,	6+6
	En poche elle a toujours⎟ plus de vingt mille francs.	6+6

DORANTE, à Madame La Ressource.
	Mais ne craignez-vous point⎟ qu'un soir dans le silence ? …	6+6

NÉRINE.
1590	Bon, bon ! Tous les filous⎟ sont de sa connaissance.	6+6

Madame LA RESSOURCE.
	Nérine rit toujours.⎟

NÉRINE, à Madame La Ressource.
	Nérine rit toujours. Montrez-nous votre écrin.	6+6

Madame LA RESSOURCE.
	Volontiers. J'ai toujours⎟ quelque hasard en main.	6+6
	Regardez ce brillant ;⎟ je vais en faire affaire	6+6
	Avec et pardevant⎟ un conseiller-notaire.	6+6
1595	Pour certaine chanteuse⎟ on dit qu'il en tient là.	6+6

NÉRINE.
	Le drôle veut passer⎟ quelque acte à l'opéra.	6+6

SCÈNE III

NÉRINE.
	Mais voici la Comtesse.⎟

Madame LA RESSOURCE.
	Mais voici la Comtesse. On m'attend ; je vous quitte.	6+6

NÉRINE.
	Non, non ; sur vos bijoux⎟ j'ai des droits de visite.	6+6

LA COMTESSE, à Angélique.
	Votre choix est-il fait ?⎟ Peut-on enfin savoir	6+6
1600	À qui vous prétendez⎟ vous marier ce soir ?	6+6

ANGÉLIQUE.
	Oui, ma soeur, il est fait ;⎟ et ce choix doit vous plaire,	6+6
	Puisque avant moi pour vous⎟ vous avez su le faire.	6+6

LA COMTESSE.
	Apparemment, Monsieur⎟ est ce mortel heureux,	6+6
	Ce fidèle aspirant⎟ dont vous comblez les voeux ?	6+6

DORANTE.
1605	À ce bonheur charmant⎟ je n'ose pas prétendre.	6+6
	Si madame eût gardé⎟ son coeur pour le plus tendre,	6+6
	Plus que tout autre amant⎟ j'aurais pu l'espérer.	6+6

LA COMTESSE.
	La perte n'est pas grande,⎟ et se peut réparer.	6+6

SCÈNE IV

Le Marquis, à la Comtesse.
	Charmé de vos beautés,⎟ je viens enfin, Madame,	6+6
1610	Ici mettre à vos pieds⎟ et mon corps et mon âme.	6+6
	Vous serez, par ma foi,⎟ Marquise cette fois ;	6+6
	Et j'ai sur vous enfin⎟ laissé tomber mon choix.	6+6

Madame LA RESSOURCE, à part.
	Cet homme m'est connu.⎟

LA COMTESSE.
	Cet homme m'est connu. Monsieur, je suis ravie	6+6
	De m'unir avec vous⎟ le reste de ma vie.	6+6
1615	Vous êtes gentilhomme⎟ et cela me suffit.	6+6

LE MARQUIS.
	Je le suis du déluge.⎟

Madame LA RESSOURCE, à part.
	Je le suis du déluge. Oui, c'est lui qui le dit.	6+6

LE MARQUIS.
	En faisant avec moi⎟ cette heureuse alliance,	6+6
	Vous pourrez vous vanter⎟ que gentilhomme en France	6+6
	Ne tirera de vous,⎟ si vous me l'ordonnez,	6+6
1620	Des enfants de tout point⎟ mieux conditionnés.	6+6
	Vous verrez si je mens.⎟
Apercevant Madame La Ressource.
	Vous verrez si je mens. Ah ! Vous voilà, Madame.	6+6
À la Comtesse.
	Et que faites-vous donc⎟ ici de cette femme ?	6+6

NÉRINE, au Marquis.
	Vous la connaissez ?

LE MARQUIS.
	Vous la connaissez ? Moi ?⎟ Je ne sais ce que c'est.	6+6

Madame LA RESSOURCE, au Marquis.
	Ah ! Je vous connais trop,⎟ moi, pour mon intérêt.	6+6
1625	Quand vous résoudrez-vous,⎟ Monsieur le gentilhomme	6+6
	Fait du temps du déluge,⎟ à me payer ma somme,	6+6
	Mes quatre cents écus⎟ prêtés depuis cinq ans ?	6+6

LE MARQUIS.
	Pour me les demander,⎟ vous prenez bien le temps.	6+6

Madame LA RESSOURCE.
	Je veux, aux yeux de tous,⎟ vous en faire avanie,	6+6
	À toute heure, en tous lieux.⎟

LE MARQUIS.
1630	À toute heure, en tous lieux. Hé ! Vous rêvez, ma mie.	6+6

Madame LA RESSOURCE.
	Voici le grand merci⎟ d'obliger des ingrats.	6+6
	Après l'avoir tiré⎟ d'un aussi vilain pas…	6+6
	Baste…

LA COMTESSE, à Madame La Ressource.
	Baste… Parlez, parlez.⎟

Madame LA RESSOURCE.
	Baste… Parlez, parlez. Non, non ; il est trop rude	6+6
	D'aller de ses parents⎟ montrer la turpitude.	6+6

LA COMTESSE.
	Comment donc ?

LE MARQUIS, à part.
	Comment donc ? Ah ! Je grille.⎟

Madame LA RESSOURCE.
1635	Comment donc ? Ah ! Je grille. Au Châtelet, sans moi,	6+6
	On le verrait encor⎟ vivre aux dépens du roi.	6+6

NÉRINE.
	Quoi ! Monsieur le Marquis…⎟

Madame LA RESSOURCE.
	Quoi ! Monsieur le Marquis… Lui, Marquis ! C'est l'Épine.	6+6
	Je suis Marquise donc,⎟ moi qui suis sa cousine ?	6+6
	Son père était huissier⎟ à verge dans Le Mans.	6+6

LE MARQUIS.
	Vous en avez menti.⎟
À part.
1640	Vous en avez menti. Maugrebleu des parents !	6+6

Madame LA RESSOURCE.
	Mon oncle n'était pas⎟ huissier ? Qu'il t'en souvienne.	6+6

LE MARQUIS.
	Son nom était connu⎟ dans le haut et bas Maine.	6+6

NÉRINE.
	Votre père était donc⎟ un Marquis exploitant ?	6+6

ANGÉLIQUE.
	Vous aviez là, ma soeur,⎟ un fort illustre amant.	6+6

Madame LA RESSOURCE.
1645	C'est moi qui l'ai nourri⎟ quatre mois sans reproche,	6+6
	Quand il vint à Paris⎟ en guêtres, par le coche.	6+6

LE MARQUIS.
	D'accord, puisqu'on le sait,⎟ mon père était huissier,	6+6
	Mais huissier à cheval ;⎟ c'est comme chevalier.	6+6
	Cela n'empêche pas⎟ que dans ce jour, Madame,	6+6
1650	Nous ne mettions à fin⎟ une si belle flamme :	6+6
	Jamais ce feu pour vous⎟ ne fut si violent ;	6+6
	Et jamais tant d'appas…⎟

LA COMTESSE.
	Et jamais tant d'appas… Taisez-vous, insolent.	6+6

LE MARQUIS.
	Insolent ! Moi qui dois⎟ honorer votre couche,	6+6
	Et par qui vous devez⎟ quelque jour faire souche !	6+6

LA COMTESSE.
1655	Sors d'ici, malheureux ;⎟ porte ailleurs ton amour.	6+6

LE MARQUIS.
	Oui ! L'on agit de même⎟ avec les gens de cour !	6+6
	On reconnaît si mal⎟ le rang et le mérite !	6+6
	J'en suis, parbleu, ravi.⎟ Pour le coup je vous quitte,	6+6
	J'ai, pour briller ailleurs,⎟ mille talents acquis ;	6+6
1660	Je vais m'en consoler.⎟ Allons, saute, Marquis.	6+6

SCÈNE V

LA COMTESSE.
	Je n'y puis plus tenir,⎟ ma soeur, et je vous laisse.	6+6
	Avec qui vous voudrez⎟ finissez de tendresse ;	6+6
	Coupez, taillez, rognez,⎟ je m'en lave les mains.	6+6
	Désormais, pour toujours,⎟ je renonce aux humains.	6+6

SCÈNE VI

DORANTE.
	Ils prennent leur parti.⎟

Madame LA RESSOURCE.
1665	Ils prennent leur parti. La rencontre est plaisante !	6+6
	Je l'ai démarquisé⎟ bien loin de son attente :	6+6
	J'en voudrais faire autant⎟ à tous les faux marquis.	6+6

NÉRINE.
	Vous auriez, par ma foi,⎟ bien à faire à Paris.	6+6
	Il est tant de traitants⎟ qu'on voit, depuis la guerre,	6+6
1670	En modernes seigneurs⎟ sortir de dessous terre,	6+6
	Qu'on ne s'étonne plus⎟ qu'un laquais, un pied-plat,	6+6
	De sa vieille mandille⎟ achète un marquisat.	6+6

ANGÉLIQUE, à Madame La Ressource.
	Vous avez découvert⎟ ici bien du mystère.	6+6

Madame LA RESSOURCE.
	De quoi s'avise-t-il⎟ de me rompre en visière ?	6+6
1675	Mais aux grands mouvements⎟ qu'en ce lieu je puis voir,	6+6
	Madame se marie.⎟

NÉRINE.
	Madame se marie. Oui, vraiment, dès ce soir.	6+6

Madame LA RESSOURCE, fouillant dans sa poche.
	J'en ai bien de la joie.⎟ Il faut que je lui montre	6+6
	Deux pendants de brillants⎟ que j'ai là de rencontre.	6+6
	J'en ferai bon marché.⎟ Je crois que les voilà ;	6+6
1680	Ils sont des plus parfaits.⎟ Non, ce n'est pas cela ;	6+6
	C'est un portrait de prix,⎟ mais il n'est pas à vendre.	6+6

NÉRINE.
	Faites-le voir.

Madame LA RESSOURCE.
	Faites-le voir. Non, non ;⎟ on doit me le reprendre.	6+6

NÉRINE, le lui arrachant.
	Oh ! Je suis curieuse ;⎟ il faut me montrer tout.	6+6
	Que les brillants sont gros !⎟ Ils sont fort de mon goût.	6+6
1685	Mais que vois-je, grands dieux !⎟ Quelle surprise extrême !	6+6
	Aurais-je la berlue ?⎟ Eh ! Ma foi, c'est lui-même.	6+6
	Ah ! …
Elle fait un grand cri.

ANGÉLIQUE.
	Ah ! … Qu'as-tu donc, Nérine ?⎟ Et te trouves-tu mal ?	6+6

NÉRINE.
	Votre portrait, Madame,⎟ en propre original.	6+6

ANGÉLIQUE.
	Mon portrait ! Es-tu folle ?⎟

NÉRINE, pleurant.
	Mon portrait ! Es-tu folle ? Ah ! Ma pauvre maîtresse,	6+6
1690	Faut-il vous voir ainsi⎟ durement mise en presse ?	6+6

Madame LA RESSOURCE.
	Que veut dire ceci ?⎟

ANGÉLIQUE, à Nérine.
	Que veut dire ceci ? Tu te trompes. Vois mieux.	6+6

NÉRINE.
	Regardez donc vous-même,⎟ et voyez par vos yeux.	6+6

ANGÉLIQUE.
	Tu ne te trompes point,⎟ Nérine ; c'est lui-même ;	6+6
	C'est mon portrait, hélas !⎟ Qu'en mon ardeur extrême	6+6
1695	Je viens de lui donner⎟ pour prix de ses amours,	6+6
	Et qu'il m'avait juré⎟ de conserver toujours.	6+6

Madame LA RESSOURCE.
	Votre portrait ! Il est⎟ à moi, sans vous déplaire ;	6+6
	Et j'ai prêté dessus⎟ mille écus à Valère.	6+6

ANGÉLIQUE.
	Juste ciel !

NÉRINE.
	Juste ciel ! Le fripon !⎟

DORANTE, prenant le portrait.
	Juste ciel ! Le fripon ! Je veux aussi le voir.	6+6

Madame LA RESSOURCE.
1700